On savait, mais quoi ? La pédophilie dans l’Église de la Révolution à nos jours – Claude Langlois
Jean-Pierre Rosa, écrivain, bibliste et membre de Confrontations, vous propose son compte-rendu de lecture de l’ouvrage On savait, mais quoi ? La pédophilie dans l’Église de la Révolution à nos jours, de Claude Langlois.
A l’été 2018, au moment où la révélation de la pédocriminalité dans l’Église est au plus fort et où le Pape François fait paraître sa Lettre au peuple de Dieu, une question est dans toutes les têtes : On savait, mais depuis quand ? En effet, plus les révélations s’accumulent, plus il s’avère que ces crimes, commis par des prêtres, étaient connus de leurs évêques depuis longtemps. Question légitime donc, mais qui en entraîne une autre, plus complexe mais nécessaire : on savait mais quoi ? En effet la qualification et l’appréciation des actes de pédocriminalité a évolué, non seulement dans l’Église mais aussi dans la société. Il est donc heureux que Claude Langlois, en historien qui s’inscrit dans le temps long, ait eu à cœur de donner des éléments de réponse à ces questions.
Pour ce faire, il a choisi de remonter jusqu’à la Révolution et de s’attacher à la France afin de repérer quel est le discours de l’Église sur la sexualité et ses déviances et comment elle traite ses prêtres pécheurs. A cette époque en effet, on assiste à un double mouvement : tout d’abord le recul du pouvoir normatif et social de l’Église au profit de l’État qui conduit à un long conflit de légitimité, ensuite l’affirmation d’un ordre moral bourgeois dont l’Église est le fer de lance. Les dénonciations des crimes de l’Église sont, au 19° siècle, le fait d’une France anticléricale qui cherche à diminuer le rôle social et politique de l’Église. L’Église se trouve dans une situation de défense qui la conduit à traiter « en interne » ses prêtres déviants.
La libération des mœurs, après guerre, bouscule les catégories mentales et disciplinaires de l’Église. Si bien que l’institution se trouve dans une situation complexe lorsqu’elle doit, dans l’urgence, non seulement changer ses pratiques, inverser ses priorités mais aussi faire évoluer son référentiel juridique et anthropologique. On mesure bien, à la lecture, le chemin accompli, et les conditions où il s’est accompli mais on voit aussi apparaître les résistances, d’ordre à la fois théologique, culturel, politique.
On y apprend notamment que le « crime de sollicitation » qui consiste, pour un prêtre, à profiter de son statut et de son rôle de confesseur pour abuser d’une pénitente date de 1561 et que c’est dans ce cadre qu’ont été pensées et traitées -secrètement – par l’Eglise, en 1922 puis 1962 et ce jusqu’en 2001, deux autres questions assez éloignées, l’homosexualité et l’abus sur mineur.
La démarche qui consiste à prendre du recul par rapport à cette question – traitée souvent sous la pression de l’urgence – et de donner quelques points de repaires historiques pour penser la crise est en elle-même salutaire.
Il apparaît en tous les cas très clairement que les questions de sexualité et de pouvoir sont intrinsèquement mêlées et que la vieille structure ecclésiastique, masculine et célibataire, y a une part de responsabilité écrasante.
Claude Langlois, On savait, mais quoi ? La pédophilie dans l’Église de la Révolution à nos jours. Paris, Seuil, 2020, 240 pages.