Vivre à Alep aujourd’hui (juin 2017) : Témoignages
Soirée au siège de Confrontations.
Mardi 13 juin 2017
notes de Véronique et Michel Sot
Intervenants
- Frère Georges Sabé des Maristes bleus d’Alep
- Antonia Rawick, habitante d’Alep, qui travaille avec les Maristes bleus, accompagnée de ses deux filles, Joëlle (10 ans) et
- Myriam Rawick (13 ans), qui vient de publier (avec Philippe Lobjois), Le Journal de Myriam, Fayard, 2017. Ils ont été invités à Paris pour la sortie du livre.
I. Témoignage de Frère Georges
Frère Georges est un mariste syrien qui anime, avec Leyla et Nabil Antaki (que nous avons déjà rencontrés), depuis le début de la guerre, une association d’aide aux innombrables victimes du conflit à Alep, sans distinction d’origine. Plusieurs membres de Confrontations, autour de Françoise Parmentier qui le connaît depuis longtemps par le scoutisme et le guidisme, soutiennent cette association et reçoivent régulièrement la Lettre d’Alep qui fait le point de la situation. Les Maristes sont appelés « bleus» à cause de la couleur de T-shirt qu’ils portaient au début de la guerre.
– Alep « libérée » : réconciliation et pardon
Nos amis arrivent d’Alep « libérée » des bombardements, c’est-à-dire que l’on peut aller d’une zone à l’autre, ou que l’on peut venir de l’extérieur dans la ville pour voir et découvrir, par exemple, sa maison détruite. L’eau est revenue alors qu’elle était coupée par DAECH au niveau du barrage d’alimentation ou par un « seigneur de l’eau » avant d’arriver à Alep. Il y a de l’électricité quelques heures par semaine. Les destructions sont considérables. Les usines ont été démontées et sont parties en Turquie.
Il y avait à Alep 4 millions d’habitants, il en reste 2 millions. Parmi ceux qui restent, entre 30 000 et 35 000 chrétiens.
Selon ce que nous dit frère Georges, cette guerre a été commandée de l’extérieur par les wahhabites, entretenus et poussés par l’Arabie saoudite. Pour eux, il y a les musulmans wahhabites d’une part, et d’autre part tous les « autres », y compris musulmans. Les immenses moyens de l’Arabie saoudite répandent dans le monde entier cet islam qui n’est pas l’islam.
L’information dans les médias occidentaux comporte beaucoup de « fausses nouvelles » : L’hôpital d’Alep-Est bombardé était un montage (c’était le bâtiment d’à côté) ; l’enfant couvert de gravats à l’arrière de l’ambulance aussi. On a largement présenté les bombardements d’Alep-Est et presque jamais les tirs de roquettes meurtriers sur l’Ouest.
« Nous croyons aujourd’hui que sans réconciliation et sans pardon il n’y a pas de paix. Sans cela, on ne fait que préparer une autre guerre ». Nous avons besoin de cette démarche de réconciliation parce qu’une partie de la ville a bombardé l’autre. Cela passe par l’éducation pour réapprendre à vivre ensemble avec nos différences qui nous enrichissent. Combien de temps faudra-t-il ? C’est le temps de l’espérance ? Quand la guerre sera-t-elle finie ? Demain ? Dans dix ans ?
Bien des choses dépendent aussi du pétrole.
Rester, partir, revenir ?
Les Maristes bleus ont choisi de rester à Alep auprès de tous les démunis. « La guerre veut nous séparer : nous choisissons de rester ensemble dans l’espérance ». Nous avons certes des besoins économiques, et votre aide est très précieuse, mais nous avons surtout besoin de prières et nous sommes portés par l’intense prière pour la paix dans notre région qui est adressée à Dieu depuis de nombreux endroits du monde.
Faut-il quitter le pays pour un ailleurs meilleur pour les nôtres ? La question de l’espérance se pose. Il y a des menaces très fortes. Le choix est personnel et doit être fait avec discernement à l’intérieur de chaque famille. Mais qui décide du départ ? Des départs par groupes de 1000 ou 1500 familles sont organisés vers le Canada ou l’Australie. Personne, et en particulier celui qui est resté, ne peut juger pour un autre. Ce n’est pas facile pour nous et nous ne pouvons que leur dire : « Je bénis ta route »
A une question sur les retours éventuels de Syriens qui ont quitté Alep et la Syrie, frère Georges rappelle le nombre des destructions de maisons et d’usines (il n’y a pas de travail). Les hommes en âge de combattre doivent en principe un service militaire de 18 mois : certains y sont depuis 6 ou 7 ans. Ceux dont les enfants sont engagés dans des études à l’étranger n’entendent pas y renoncer. Et si Alep est calme, le pays n’est pas en paix : il y a une seule route d’accès à Alep vers le monde, très souvent menacée.
Eléments d’analyse politique par un syrien chrétien d’Alep
En réponse à des questions, Frère Georges précise que les réponses que nous résumons maintenant sont celle d’un Syrien, chrétien d’Alep, et pas celle d’un expert.
- Il considère que l’intervention russe a retourné la situation en Syrie et permis de repousser DAECH le plus loin possible.
- A propos du Président (qu’il n’aime pas que l’on appelle Bachar) il souligne qu’il est aimé de son peuple et que chrétiens l’aiment. La Syrie est certes un Etat confessionnel, mais c’est le seul pays du monde arabe qui a donné des droits aux minorités, en particulier chrétiennes, au contraire de l’Arabie saoudite. Pourquoi parle-t-on de dictature en Syrie et pas en Arabie Saoudite, fréquentée par les démocraties occidentales ?
- Le gouvernement syrien aide beaucoup au rétablissement et à la reconstruction d’Alep avec les organisations locales et internationales : il y a de l’eau maintenant et toutes les écoles devraient prochainement rouvrir.
II. Témoignage d’Antonia Rawick, habitante d’Alep et de sa fille – Myriam Rawick (13 ans)
En 2012, un jour nous avons vu arriver dans les rues notre quartier Jabal Saydé à Alep des gens complètement étrangers. Nous savions qu’il y avait la guerre mais pour nous, c’était ailleurs mais pas chez nous. Et nous avons compris que c’étaient des déplacés. Nous les avons aidés comme nous pouvions et les écoles ont été réquisitionnées pour les loger. Nous avons commencé à penser que cela pouvait nous arriver aussi.
Une semaine après, notre appartement a été occupé par les rebelles dénommés, à l’époque, « armée syrienne libre » (si cela avait été par DAECH nous ne serions plus là pour témoigner). Tous les magasins ont été vidés et les voitures volées. Depuis les minarets des mosquées, ordre a été donné de quitter nos maisons, sinon nous serions considérés comme appartenant à une milice. Nous étions alors à notre tour des déplacées
Les Frères maristes nous ont accueillis dans un premier temps et depuis nous essayons de rester debout. Antonia a pris en charge chez les Maristes un programme « Je veux apprendre » auprès de 90 enfants. Mais avec apprendre, il y a aussi manger, prendre un bain etc. C’est une approche globale.
Quant à sa fille : « Je m’appelle Myriam, j’ai treize ans. J’ai grandi à Jabal Saydé, le quartier d’Alep où je suis née. Un quartier qui n’existe plus ».
Lire son journal de petite fille au cœur de la guerre, attentive à ses parents qui s’inquiètent, aux rues et aux commerces qui se vident, aux tirs, aux bombes et aux « hommes en noir » qui les obligent à fuir.
Conclusion de Frère Georges
Ce que nous faisons, nous le faisons parce que nous croyons que l’homme est digne de l’homme, et c’est très humble. L’important c’est que toute personne retrouve un chemin d’espérance.