Compte rendu du colloque « Accueillir l’étranger – le défi »


ACCUEILLIR l’ÉTRANGER, LE DÉFI

Centre Sèvres – samedi 25 mars 2017

 

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Rappel de l’argumentaire

Des étrangers sont parqués aux frontières de la France, de Vintimille à Calais. Des barrières s’érigent en Europe. La Méditerranée engloutit les corps de personnes qui fuient l’Afrique ou le Moyen-Orient. L’histoire est ponctuée de phases régulières de migrations. Mais, ces derniers temps, nos territoires vivent dans la tension de soubresauts souvent dramatiques. Le sort des migrants interpelle notre société, dérange les responsables politiques ; il déchaîne les controverses et trouble les esprits. Il inspire la compassion et la solidarité, ou bien suscite les peurs et le rejet.

Accueillir l’étranger relève aujourd’hui d’un vrai défi.

Le défi est d’abord celui de la compréhension. Que de confusions sur les intentions de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants, chassés par la misère ou la guerre ! Il s’agit de savoir de qui et de quoi l’on parle. Par-delà les causes économiques et politiques, mais également environnementales, il est utile de préciser ce que ces mouvements induisent pour les pays d’accueil : n’y a-t-il pas aussi échanges, et donc bénéfices ? Évoquer des clandestins ou des réfugiés, des murs ou des ponts, l’assimilation ou l’intégration, c’est déjà faire parler les mots.

Le défi interpelle également les politiques menées par les États et les collectivités publiques. Depuis la commune rurale, dérangée par l’arrivée de quelques réfugiés, jusqu’à l’Europe en crise, bousculée à  ses frontières, le phénomène migratoire concerne tout le monde. C’est à tous les niveaux que se pose la question de l’accueil, dans son esprit comme dans ses moyens. Ce phénomène sera durable ; il ne peut se circonscrire à des réponses d’ordre sécuritaire.

Enfin, le défi est aussi éthique. Les migrants et les réfugiés sont des personnes en quête d’aide : ils ont des droits, comme chacun. Là où ils fuient, ils découvrent des communautés souvent sensibles à leur sort mais parfois désarmées par les difficultés que leur situation implique. Ces tensions mettent en jeu la manière de concevoir l’accueil, de répondre par l’hospitalité. C’est une responsabilité qui relève pleinement d’une approche humaniste. Les chrétiens ne peuvent pas y rester étrangers.

En organisant ce colloque en partenariat avec d’autres associations et organismes qui se préoccupent du sort des réfugiés, Confrontations, association d’intellectuels chrétiens, entend prendre le temps de la réflexion et de l’échange sur un thème particulièrement sensible. En proposant des analyses sur les questions qu’il pose mais aussi des témoignages de victimes de la violence, de la misère et de l’injustice, nous voulons aborder ce sujet d’actualité avec réalisme et sans naïveté. Le défi de cette rencontre sera de souligner les initiatives prises, de dégager les pistes esquissées pour sortir des impasses actuelles. Des échéances électorales se profilent. Cette actualité nous contraint d’autant plus à un engagement dans la sérénité.

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Introduction 

par Françoise Parmentier – Présidente d’honneur de Confrontations

Chers amis,

 à la suite de François Ernenwein président de Confrontations et au nom de  nos 15  partenaires, (ACAT/France – ATD Quart Monde – Apprentis d’Auteuil – CCFD Terre Solidaire – CERAS -CIMADE – Justice et Paix – Pastorale des Migrants – Petits Frères des Pauvres – Semaines Sociales de France – JRS/France Service Jésuites des Réfugiés – Société Saint-Vincent-de-Paul – Réforme – Projet – Etudes),

 je suis à mon tour, très heureuse de vous accueillir et de vous souhaiter la bienvenue à cette journée de réflexion sur l’accueil de l’étranger, véritable défi d’aujourd’hui non seulement  pour la société française mais plus largement pour  l’Europe tout entière.

Faut-il le rappeler, rien que pour la seule journée de dimanche dernier, 19 mars, les gardes côtes italiens ont comptabilisé pas moins de 25 opérations en Méditerranée pour secourir un total de 3 315 migrants sur différentes embarcations de fortune. Depuis le début de 2017, près de 20 000 migrants ont été secourus en mer, contre environ 12 000 pour la même période en 2016. Combien de milliers ont-ils été engloutis ? C’est dire combien le flux migratoire n’a de cesse de s’amplifier. Toutes ces personnes, qu’elles viennent de Syrie, d’Irak ou des pays voisins, d’Afrique ou d’Asie, fuyant la guerre pour certaines et pour d’autres la famine, la misère ou les conditions climatiques, arrivent en Europe demandant asile et hospitalité ; et pour la plupart, bloquées aux frontières, elles se heurtent aux murs de barbelés ; pour celles qui passent au-delà, elles se heurtent aux murs de l’indifférence et souvent au rejet. Mais, nous devons aussi souligner qu’elles suscitent la compassion et la solidarité, comme le prouvent nombre d’associations de la société civile et de simples citoyens.

Pour traiter cette grande question d’une actualité brûlante, et de surcroît en cette période électorale,  nous avons choisi  l’angle de  l’accueil  et avons fait appel aux plus grands experts pour comprendre ce que d’aucuns nomment la crise migratoire. Qu’ils soient dès maintenant remerciés.

Au cours de quatre tables rondes, nous ferons appel à l’histoire pour relire ensemble 40 ans de politique d’accueil – nous tenterons de comprendre ce phénomène migratoire et ce que cachent les mots si souvent entendus et employés à mauvais escient : migrants,  réfugiés,  exilés,  immigrés,  mineurs isolés, déplacés … En fait de qui parle-t-on ?  Nous aborderons la dimension politique, avec plusieurs responsables pour leur demander que  font les pouvoirs publics ? Nous  entendrons le témoignage d’acteurs de la société civile et  de  deux jeunes réfugiés Nour Allazkani syrien, et Valeriia  Pozdniakova  ukrainienne. Ils nous feront part de leur parcours, de leurs difficultés et de leurs espoirs.

Nous ne ferons pas l’impasse sur une dimension essentielle, celle de l’éthique et de la responsabilité. En effet, pour nous rappeler les fondements de l’hospitalité, nous aurons les éclairages, d’une sociologue, d’un jésuite et d’un pasteur. Enfin, nous souhaitons clore notre colloque par un appel aux candidats à la présidence de la République.

Merci de me laisser conclure ce mot d’introduction en citant le pape François. Très ému par son voyage à Lampedusa, « HONTE » est le seul mot qui lui soit venu, après ce qu’il a vu et entendu. En février dernier, lors de la prière pour toutes les personnes qui connaissent l’épreuve, et en particulier, les pauvres, les réfugiés et marginalisés, il indiquait : « Nous vivons dans des villes qui construisent des tours, des centres commerciaux, font des affaires immobilières… mais laissent une partie d’elles-mêmes en marge, dans les périphéries ! Ne les abandonnons pas ! » Et lors de la journée internationale des migrants : « Je tiens à attirer l’attention sur la réalité des migrants mineurs, en particulier ceux qui sont seuls, en demandant à chacun de prendre soin des enfants qui sont trois fois sans défense, parce que mineurs, parce qu’étrangers et parce que sans défense, quand, pour diverses raisons, ils sont forcés à vivre loin de leur terre d’origine et séparés de l’affection de leurs proches. Ne les abandonnons pas ! »

 

Compte-rendu de Michel et Véronique Sot

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Conférence inaugurale : « Quarante ans de politiques d’accueil »

par Catherine Wihtol de Wenden,  directrice de recherche émérite au CNRS,  spécialiste des migrations internationales, auteure notamment de : Atlas des migrations, Paris, Autrement, 2016, 4e édition ; L’immigration, Paris, Eyrolles, 2016 ; Migrations. La nouvelle donne. Paris Ed. FMSH, 2016 (janvier 2017).

Il faut rappeler que les 2/3 des migrants dans le monde, et les plus précaires, sont accueillis dans les pays du Sud (en particulier en Afrique) et que la Convention des Nations Unies sur l’accueil des travailleurs migrants n’a été signée que par 50 pays, tous du Sud. Rappeler aussi que les grandes migrations, au XIXe s. et pendant une grande partie du XXe, étaient caractérisées par la difficulté à sortir de son pays (jusqu’à la chute du rideau de fer). Aujourd’hui on sort librement de son pays mais les autres se « protègent » : c’est ainsi que se pose la question de l’accueil et de l’intégration.

On peut dater la première politique d’immigration et « d’intégration » en France de 1974 (Giscard d’Estaing et Paul Dijoud). Avant, on avait besoin de main-d’œuvre : 82 % des immigrés étaient des clandestins régularisés ensuite. La politique d’immigration mise en place par Paul Dijoud était dite « d’intégration », mot nouveau qui avait été employé par Jacques Soustelle (anthropologue et Gouverneur général de l’Algérie française) pour désigner sa politique vis-à-vis des indigènes. Avant on parlait « d’assimilation », mot jamais défini et très conflictuel.

Vingt mesures « d’intégration » sont alors proposées dans trois directions : – une politique culturelle orientée vers le retour au pays d’origine. – une politique de logement (contre les bidonvilles) – une politique d’aide aux associations d’insertion.

Cette politique est continuée par Lionel Stoléru (1977) mais plus résolument orientée vers le retour (1 M de Francs proposés) : acceptée par des Espagnols et des Portugais mais refusée par la majorité des Algériens auxquels on pensait prioritairement. Simultanément est mis en place le regroupement familial, lié au fait que la politique de Schengen empêche les allers et retours fréquents des hommes entre pays de travail et pays où est restée leur famille comme à l’époque antérieure.

1981 : L’accueil des étrangers est défini par des droits. Législation nouvelle (ce qui ne signifie pas qu’elle est appliquée).

– Liberté d’association pour les étrangers : thématique de l’intégration mais aussi de l’égalité (Marche des Beurs, 1983)

– Renforcement de l’enseignement du français (alphabétisation en partie engagée depuis les années 50)

– Lutte contre les bidonvilles : logements en « cités de transition », et aussi en HLM qui ne leur étaient pas destinés, d’où une spécificité de nos banlieues en Europe.

1990 : Politique de la ville (un ministère dédié)

– idée qu’en réinventant la ville, on va changer les gens (cf Le Corbusier)

– lutte contre les discriminations (en particulier grâce à des initiatives d’associations).

– rejoint lutte contre discrimination au travail.

Depuis 1986, durcissement des règles d’entrée et d’accès à la nationalité, en relation avec la politique sécuritaire. Mais simultanément aussi, recherche (difficile) d’une mémoire commune : création d’un Musée de l’immigration finalement ouvert en 2007.

D’une façon générale, la France et l’Europe n’ont pas dans leur culture le fait que l’immigration est fondatrice comme c’est le cas dans la culture américaine. L’idée générale est que l’immigration a quelque chose d’illégitime et il est très difficile de mettre en œuvre une législation.

Notons néanmoins que l’Union européenne a joué un rôle positif en promouvant les thématiques de la libre circulation et de la diversité dans l’unité.

 

Première table ronde : « Le défi de la compréhension – Les migrations, de qui et de quoi parle-t-on ? »                    

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Modérateur : Jean Massot, Confrontations – ancien président de la Commission de recours des réfugiés

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– « La distinction entre migrants, réfugiés et déplacés environnementaux »

par François Gemenne, chercheur en sciences politiques – CERI, spécialiste des migrations.

 

Le débat public a besoin de simplifications et elles sont trop souvent sommaires. Un grand flou catégoriel règne, aggravé par les phénomènes climatiques. La dichotomie habituelle entre ceux qui sont contraints de se déplacer (les « réfugiés » qui doivent être protégés selon la Convention de Genève de 1951) et les migrants économiques (laissés à la discrétion des pays d’accueil) ne tient plus.

La Convention de Genève fut un arrangement entre les Quatre Grands pour résoudre les problèmes des personnes déplacées en Europe par la Seconde guerre mondiale : le HCR (Haut Commissariat pour les Réfugiés) avait été créé pour 3 ans et appelé à disparaître. Or il est toujours en fonction. Il a été utile dans les processus de décolonisation et son rôle a été étendu au monde entier et a tout type de réfugié en 1967.

La Convention de Genève est en application alors que les flux migratoires sont devenus extrêmement complexes, fragmentés, à longues distances, et à motifs multiples : politiques, économiques, sociaux et, de plus en plus, environnementaux. La distinction entre migration contrainte et migration volontaire est troublée : ces deux types de migration sont les extrémités d’un continuum. Ex : le HCR n’a pas de mandat pour s’occuper des victimes d’un tsunami. Présent au Sri Lanka pour les réfugiés de guerre, il pouvait difficilement ne pas accueillir les victimes du tsunami. La distinction est remise en cause par les faits et le HCR est amené à en tenir compte.

Pour la moitié de la population africaine, l’environnement et l’économie, c’est la même chose : les Africains migrants économiques sont souvent des migrants environnementaux (donc contraints).

Dans le débat public, il faut sans doute défendre les politiques d’accueil des réfugiés politiques, mais cela entraîne trop souvent un jugement éthique, instrumentalisé par des politiques, entre « bons » réfugiés et « mauvais » migrants (non politiques). Il ne faut surtout pas remettre en cause la Convention de Genève, mais les gouvernements et l’opinion doivent aborder l’accueil des migrants dans son ensemble.

– « La dimension économique de l’immigration »

par Jean-Christophe Dumont, responsable de la division des migrations internationales à l’OCDE.

Quelques mises au point : La France a été un grand pays d’immigration mais ne l’est plus. Selon l’OCDE, le flux est stable autour de 260 000 par an, soit 0,4 % de la population. C’est la moitié de la moyenne des pays de l’OCDE. Dans l’ensemble de la population française, il y a 12% de personnes nées hors de France : c’est aussi en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE et des autres grands pays d’Europe.

Les migrants autres que réfugiés sont très largement prépondérants en Europe et dans les pays de l’OCDE.

Les économistes dressent le constat général que, si l’immigration est bien gérée, elle est positive à moyen et long terme pour l’économie des pays d’accueil. Les effets de substitution (pertes d’emploi, baisse des salaires …) souvent dénoncés ne sont pas vérifiés. Les secteurs les plus dynamiques recrutent aussi des immigrés, comme les secteurs en difficultés : 11% de la force de travail en France est celle des immigrés (50 % dans nettoyage et sécurité ; 25 % dans l’aide à la personne). Ils sont de plus en plus qualifiés (36% de diplômés ces cinq dernières années) et ils soutiennent la croissance. Sur le plan fiscal ils rapportent plus qu’ils ne coûtent.

Tout cela est bien établi et publié, mais de moins en moins audible. Le débat sur les coûts et les dangers de l’immigration présentée comme une « crise », est dominant. Alors que faire ?

– Revenir inlassablement et sans se décourager sur les éléments factuels : rabâcher les faits et être précis sur le chiffres dans le débat public (12% d’immigrés et pas 30% comme le croient nos concitoyens dans les enquêtes d’opinion). Combattre les idées ou images simplistes comme celle du gâteau à partager en parts forcément plus petites.

– Mais aussi accepter de faire notre mea culpa. Les économistes parlent macro-économie. Il faut être attentif à ce qui se passe au niveau local et individuel. Voir et admettre qu’il y a des « perdants », les identifier et établir pour eux des compensations.

– Ne pas éluder les questions complexes de l’accueil : 1/3 des personnes arrivées depuis 5 ans ne sont ni en emploi ni en formation. ½ des migrants diplômés sont au chômage.

Aujourd’hui, il n’y a plus de politique d’intégration et elle est loin d’être au cœur du débat public. Il faut l’y amener.

 

Deuxième table ronde : « Le défi politique ».


Modérateur : Marc de Montalembert, Justice et Paix.

 

 

 

Discutante : Geneviève Jacques, présidente de la CIMADE

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– « Que fait le Défenseur des droits ? »

par Jacques Toubon, Défenseur des droits

On assiste, en termes de droits des étrangers, à une forme de régression dans notre pays, en gros depuis les attentats du 11 septembre 2001 qui ont progressivement impacté l’opinion et les politiques. L’idée ancienne, celle qui a par exemple inspiré la Croix Rouge, selon laquelle il existe des droits universels des personnes, est devenue minoritaire dans l’opinion et chez les politiques. L’idée de droit d’asile (Convention de Genève 1951) est remise en cause. Et même les droits fondamentaux des étrangers, officiellement affirmés, ne sont pas respectés dans les faits.

  1. T. n’entend pas que soit remise en cause la souveraineté de l’Etat : il lui appartient bien d’accueillir ou de refuser l’accueil selon le droit, avec intervention d’un juge. Mais il constate l’écart entre les larmes versées sur les migrants en Méditerranée devant les écrans de télévision et les refus administratifs d’accueil des Syriens.

En ce qui concerne les droits sociaux, le Défenseur des droits rappelle que la loi n’admet pas les discriminations en raison de la nationalité. Or dans la pratique, elles sont très présentes. Un exemple : pour l’hébergement d’urgence, au nom du « principe de réalité » (manque de place), l’administration écarte les personnes à la rue qui sont étrangères.

Cela repose sur l’idée reçue de « l’appel d’air » : il faudrait limiter les droits des immigrés pour l’éviter. Or toutes les études montrent que l’immigration n’est pas motivée par l’attractivité de l’offre sociale ou de l’offre médicale mais bien par l’expulsion hors du pays d’origine, en dernier lieu pour des raisons climatiques, qui ne sont donc ni politiques ni directement économiques.

On invoque volontiers la nécessaire « maîtrise des flux migratoires » : c’est poser le problème, pas lui apporter une solution.

– « Comment défendre l’asile face aux politiques ? »  

par Pascal Brice, directeur général de l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides)

P.B. rappelle que la question de l’accueil est centrale et souligne d’abord la forte mobilisation des préfets, des associations et de toutes sortes de gens qui ont décidé d’accueillir les migrants déplacés de Calais. Si on a assisté à une forte résistance dans des villages au début, très vite des habitants se sont mobilisés pour l’alphabétisation, les déplacements auprès des administrations, les visites de la région … tandis qu’en face les discours hostiles continuaient, sans rapport avec la réalité sur place.

Il indique trois exigences qui doivent être affirmées et respectées :

  1. Etre à la hauteur de l’histoire de notre pays et de ses valeurs, en ne laissant pas instrumentaliser le droit d’asile pour en faire un instrument de discrimination. Il évolue mais, pour être préservé, il doit rester distinct de la politique migratoire.
  2. Créer les conditions du plein exercice du droit d’asile. C’est le travail des politiques, d’abord au niveau européen, ensuite au niveau national. Des progrès incontestables ont été faits en France : doublement des hébergements ; doublement des personnels de l’OFPRA pour statuer plus vite. Ce qui s’est fait à Calais est à cet égard exemplaire pour affirmer un droit d’asile qui n’existait pas. L’argument de « l’appel d’air » ne tient pas.
  3. Appliquer la loi. Au moment où il faut statuer, il ne faut plus qu’il y ait intervention des politiques mais uniquement celle des juges.

– « L’accueil au plan local »

par Marie-Dominique Dreyssé, adjointe au Maire de Strasbourg, Roland Ries, en charge des solidarités.

Strasbourg est un carrefour en Europe : on y enregistre 2 à 3000 demandes d’asile par an. Des gens sont à la rue, d’autres en bidonville. Les fantasmes sont développés par certains en discours de haine. Or le maire a lancé un appel aux habitants qui a suscité un élan de réponses positives et non un mouvement de peur comme le croient souvent les politiques.

Il est important  que ces derniers engagent un travail pédagogique et refusent absolument d’opposer les misères. Les élus locaux ont un rôle utile à jouer (cf. le maire de Grande-Synthe) pour redonner sens à la fraternité : c’est possible et finalement assez simple s’il y a la volonté. A la suite de l’appel du maire de Strasbourg, 2000 personnes ont pris contact avec la mairie pour proposer des hébergements (25 %), du bénévolat (25%) ou d’autres formes d’aide. Mais, et c’est une autre difficulté à laquelle une municipalité est confrontée, les réfugiés ne se sont pas présentés en nombre et le travail pédagogique doit se poursuivre.

La proximité est le lot des élus locaux : leur difficulté majeure aujourd’hui est celle des « déboutés du droit d’asile » (60 à 70 % des demandeurs). Evidemment, ils restent là : les enfants sont à l’école et ils connaissent un début de socialisation, mais ils restent « invisibles » et sont particulièrement vulnérables. Ils sont actuellement plus de 600 à Strasbourg. La municipalité « colmate » comme elle peut, mais il est nécessaire que d’autres échelons que celui de la ville, interviennent.

 

 

Troisième table-ronde : « Les défis de l’accueil aujourd’hui »

        

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Modérateur : Jean-Pierre Duport, Confrontations

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– « Les conditions de l’accueil des Syriens, des Irakiens et des Afghans »

par Jean-Jacques Brot, préfet, en charge de l’accueil des réfugiés syriens et irakiens en France.

En principe tenu par le devoir de réserve, le préfet J.-B. B., entend néanmoins témoigner de ce qui s’est fait depuis deux ans et qui est porteur d’une grande espérance de fraternité. Sa mission peut se résumer en trois points.

– Réinstaller : accueillir en France des Syriens, réfugiés dans les camps du HCR au Liban ou en Jordanie : 500 l’an dernier ; 1900 cette année. Cela en liaison avec l’OFPRA, quand on a trouvé pour ces réfugiés un logement et une structure d’insertion.

– Coordonner l’accueil des familles irakiennes issues de minorités religieuses persécutées (et ce fut un échec)

– Accueillir 101 familles afghanes de supplétifs de l’armée française.

Il s’agit d’un travail artisanal, adossé à l’administration. Au cours de cette mission, le préfet a rencontré un réseau extraordinaire d’accueil et il n’y a eu aucun incident alors que plus de 3 000 personnes étaient concernées. Ce qui signifie qu’il faut prendre le temps d’un travail minutieux pour qu’il soit fructueux : les Français sont très généreux si on leur explique.

Mais la France peut et doit faire mieux : il fait partie de son identité d’être ouverte, ce que le débat électoral actuel omet. La principale difficulté est que plusieurs administrations ou services, avec de nombreux fonctionnaires, se concurrencent sur le sujet. Ce qui fait que le guichetier de base, en rapport avec les personnes à accueillir, n’y comprend rien. Pour avancer, il faut un minimum d’administration et surtout une politique résolue bien définie : les Français et leurs associations y sont prêts, tandis que les discours des politiques n’en disent rien.

 

– « Quel accueil des mineurs, non accompagnés, étrangers ? »

par André Altmeyer, directeur général adjoint, Apprentis d’Auteuil

L’accueil des mineurs isolés est un souci de la Fondation dès son origine en 1866.  Cet accueil s’est développé avec l’arrivée de boat-peoples dans les années 1980 et s’est institutionnalisé dans les années 90. Les mineurs isolés étrangers sont protégés par la loi depuis le début des années 2000 : ils sont sous la protection des collectivités départementales qui les confient à des institutions, dont Apprentis d’Auteuil.

Sur les 25 000 jeunes accueillis par la Fondation, les mineurs étrangers non accompagnés sont environ 1 000 par an, venus principalement d’Afrique, âgés en moyenne de 16/17 ans. Ils arrivent généralement sans papiers, ce qui est un obstacle administratif considérable pour pouvoir engager quelque type d’action que ce soit vers l’intégration, après qu’ils aient vécu un itinéraire chaotique de plusieurs mois, voire de plus d’un an.

La Fondation les accueille pour les mettre en sécurité d’abord, leur permettre de reprendre souffle, et les engager dans un parcours vers l’autonomie : l’apprentissage de la langue est le sésame ; vient ensuite la découverte et le choix d’un métier ; et la formation. Or en France, l’enfance cesse à 18 ans et il faudrait donc avoir fait tout cela en 1 ou 2 ans.

Il y a de l’argent mais on se heurte à un tel cloisonnement entre les ministères responsables que tout est compliqué et très lent. Ce qui a trop souvent pour résultat d’annihiler l’espoir à l’égard de notre pays, de jeunes qui ont beaucoup de capacités et de dynamisme (ils l’ont prouvé).

Il faut néanmoins porter un regard positif sur la générosité des Français et sur la conviction de tous ceux qui travaillent à l’accueil des étrangers, dans l’esprit de l’Evangile en particulier.

 

– « Témoignages de jeunes accueillis par le Service Jésuite des Réfugiés »

Valeria Pozdniakova,  ukrainienne

Après une longue galère, elle a vécu l’accueil dans une famille française comme la reconnaissance de sa personne, bien au-delà de la sécurité et de la nourriture. Elle a dû faire des efforts considérables pour apprendre la langue, qui est la clé de tout.  Elle souligne que pour pouvoir faire des projets et aimer la France, il faut être sûr de pouvoir y rester.

 

Nour Allazkani, syrien

indique que pour un demandeur d’asile, il est impossible de trouver un cours de français. Or il doit attendre 6 à 9 mois pour avoir la réponse à sa demande d’asile. Alors tout peut commencer. Il dit aussi ressentir très fort la solidarité qui est déployée en France.

 

 

 

– « L’ouverture d’un centre d’accueil par les Petits Frères des Pauvres »

 par Patrice Lafon, directeur adjoint de AGE (Association de gestion des établissements des petits frères des Pauvres).

P.L. expose les difficultés d’implantation d’un centre d’accueil pour 60 résidents dans une commune des Yvelines, alors que les élus y étaient favorables au départ. Il décrit l’obstination et le difficile travail pédagogique qu’il fallut mener auprès de la population inquiète, remontée par des militants politiques venus de l’extérieur, et la réussite finale de l’opération grâce à 20 volontaires courageux de la commune qui ont finalement « converti » leurs concitoyens.`

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Quatrième table-ronde : « Le défi  éthique »

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Modératrice : Dominique Quinio, présidente des Semaines Sociales de France

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– « Les fondements de l’hospitalité »

par Anne Gotman sociologue, CNRS

La logique destructrice du « nous face à eux » (Paul Ricœur) existe : c’est le contraire de l’hospitalité. Les procédures administratives sont d’une complexité extraordinaire et croissante pour tous, en particulier pour les étrangers : c’est une entrave particulièrement forte à l’hospitalité.

On a beaucoup parlé de droit : il faut parler aussi des mœurs. De tout temps, on s’est plaint du déclin de l’hospitalité qui n’est jamais au niveau du besoin. Mais si on regarde le nombre de sites consacrés à l’accueil des étrangers on constate qu’il sont très nombreux et donc que l’hospitalité est une réalité. L’idée d’un déclin, dans l’opinion, vient du transfert de responsabilité des églises et des municipalités à la loi et à l’Etat. L’hospitalité serait occultée par le droit.

L’hospitalité est une valeur morale d’origine religieuse devenue référence humaniste : l’étranger doit être protégé. Mais hospitalité et hostilité ont une racine commune : l’invité est à la fois « seigneur » et « prisonnier ». Si les règles ne sont pas respectées, c’est l’explosion. Chacun doit être à sa place, l’arrivant et celui qui le reçoit, dans un rapport nécessairement asymétrique, sur lequel nous ne sommes pas au clair.

 

– « L’accueil des migrants, ce que disent les Eglises »

Christian Mellon, jésuite, CERAS (Centre de Recherche et d’Action Sociales)

« Catholicisme social devrait être un pléonasme » : Henri de Lubac, Catholicisme, 1938.

  1. La doctrine sociale de l’Eglise catholique comporte le devoir d’accueillir le migrant, mais cet accueil n’est pas forcément inconditionnel.

On distingue les migrations contraintes : – si la personne est en danger dans son pays, c’est un devoir pour les pays d’accueil de l’accueillir et c’est un droit pour l’accueilli (tradition du droit d’asile).   – si la personne est en quête de « ressources vitales » qu’elle ne peut trouver dans son pays d’origine : le devoir du pays d’accueil et le droit de l’accueilli sont les mêmes.

Les migrations non contraintes : dans ce cas, les Etats ont le droit de réguler mais exceptionnellement, « pour motif grave relevant du bien commun », c’est-à-dire du bien commun universel.

L’Eglise déplore que l’exception tende à devenir la règle. La liberté d’immigrer et d’émigrer est absolue. Cela peut conduire à s’opposer aux politiques actuelles des Etats et du chacun pour soi.

  1. Pour le vivre ensemble dans une société de diversité, deux positions extrêmes sont incompatibles avec la doctrine sociale de l’Eglise : l’assimilation et le communautarisme. La voie à parcourir est celle de l’intégration, qui doit être conçue comme réciproque.

Rappelons que l’Eglise est née de la Pentecôte : la même Bonne Nouvelle est annoncée dans des langues différentes.

                                   

Didier Fiévet,  pasteur de l’Eglise Protestante Unie de France à Toulouse

Sept propositions :

  1. La loi morale ne fait pas Evangile. Ce n’est pas parce que nous appliquons Sa loi que Dieu nous aime. C’est parce que Dieu nous aimeque nous pouvons faire le bien.
  2. L’Evangile assigne au politique un horizon autre que le sien. La foi chrétienne fonde son horizon sur un Autre. La Nouvelle Jérusalem descend du ciel : nous l’accueillons, nous ne la construisons pas.
  3. Dire cela suppose un travail spirituel. Ce n’est pas le comportement de Zachée qui a changé quand il est descendu du Sycomore à la rencontre de Jésus, mais sa compréhension de son comportement.
  4. Le migrant est l’archétype de l’humain : il n’y a d’humanité qu’en Christ.
  5. Le païen nous convertit. La Syro-phénicienne convertit Jésus en un Dieu en miettes.
  6. « Accueillir d’abord » : c’est la campagne lancée par l’Eglise protestante unie de France. Notre rôle d’Eglise n’est pas de dire au monde qu’il faut appliquer les valeurs chrétiennes. Mais de rappeler aux politiques et aux citoyens que nous sommes liés ensemble dans la communauté dont la devise est « Liberté, Egalité, Fraternité ».
  7. Les « immigrés de 2e ou 3e génération » sont souvent hostiles à l’arrivée de nouveaux immigrés. Ils se vivent comme les ratés de notre société et cherchent une simple Parole qui leur donne et nous donne l’espérance. C’est toujours un Autre qui fait les choses pour nous. La mort de Christ ouvre les tombeaux et libère le monde.

           

Conclusion

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François Ernenwein, président de Confrontations, rédacteur en chef à La Croix

Lancement de l’Appel de Confrontations et de ses partenaires aux candidats à la présidence de la République.

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Voir l’Appel.