« Le care, une nouvelle approche de la sollicitude ? » Colloque du 5 juin 2015
CONFRONTATIONS en partenariat avec
Vendredi 5 juin 2015
Maison des Evêques de France
Le care a fait son entrée en France sur les scènes de la réflexion philosophique et du débat politique. Parfois caricaturé, souvent mal connu, le care, entre théorie et pratique, morale et politique, étudie à nouveaux frais la vulnérabilité et la dépendance au coeur du lien social. Si le terme n’est pas toujours traduit, c’est que sa richesse sémantique ne s’épuise pas dans un unique équivalent français : prendre soin, donner de l’attention, manifester de la sollicitude… Entre soin et sollicitude, la notion de care invite à une réflexion approfondie. D’où nous vient de prendre soin ? D’où nous vient la capacité à nous soucier d’autrui ? D’où surgissent les conduites, individuelles et collectives, consistant à agir pour répondre aux attentes de l’autre ? En quoi un regard historique peut-il nous aider à mieux comprendre cette notion ? En quoi cette philosophie qui nous vient d’ailleurs, est-elle si différente des notions de solidarité, de fraternité, de justice sociale ? En tant que chrétiens, en quoi interroge-t-elle notre foi et notre responsabilité ?
Après un éclairage introductif sur sa définition et son origine, plusieurs tables rondes pluridisciplinaires, s’appuyant sur des exemples précis, en discerneront les dimensions, philosophique, historique, sociale, politique, et éthique. En conclusion, nous verrons, en tant que chrétiens et citoyens, comment notre foi et notre responsabilité y sont convoquées.
Les notes ci–dessous ont été établies par Michel Sot
Qu’est-ce que « le care » ?
Définition, origine et réception en France,
Conférence inaugurale par Nathalie Sarthou-Lajus,
philosophe, rédactrice en chef adjointe de la revue Etudes.
Il s’agit d’un courant venu des Etats-Unis, dont nous n’avons pas fini d’entendre parler parce qu’il aborde beaucoup de questions de notre société. Le concept de « care » a émergé comme affirmation d’une volonté de revaloriser le « soin » ou la « sollicitude » dans le contexte libéral et individualiste du winner triomphant. Il est lié aussi, comme le concept de « genre » au mouvement féministe, le care étant souvent associé aux femmes.
L’ouvrage fondateur est celui de Carol Gilligan, paru en 1982 et devenu un best seller mondial, traduit en français en 2008 seulement sous le titre : Une voix différente ; pour une éthique du care (Flammarion).
Ce livre est composé de trois séries d’enquêtes et d’analyses psychologiques distinguant des critères de décision différents chez les hommes (rationalité, droit, principes abstraits) et chez les femmes (affects, sensibilité aux besoins des autres), avec en filigrane un risque d’affirmation de valeurs féminines contre les valeurs masculines dominantes. D’où le succès de livre. D’où aussi des critiques, notamment en France. Or C. Gilligan dit très clairement que cette voix n’est pas caractérisée par son genre mais par son thème : la « voix différente » est celle d’un individu relié aux autres pour mettre en valeur des ressources supplémentaires, outre l’application du droit et outre les soins médicaux.
Du côté français la tendance a été de répondre : « Nous avons déjà. Voyez Ricoeur et Lévinas ! » Mais ces philosophes abordent la question sur le plan éthique. La nouveauté est que les tenants du care parlent « d’activités du care », généralement dévolues aux femmes et fort peu valorisées. Ils entendent associer étroitement à l’éthique, le social et le politique.
Le second ouvrage de référence est celui de Joan C. Tronto, paru aux Etats-Unis en 1993 et traduit en français en 2009 sous le titre : Un monde vulnérable, pour une politique du care (La Découverte). L’auteure se démarque de C. Gilligan en montrant que cette dernière associait trop le care à une éthique de femme, et elle s’efforce de penser « la vie bonne » en déplaçant l’accent du privé au public, et du psychologique au social. Le care est le plus souvent délégué à des personnes immigrées, mal payées etc., alors que leur rôle est fondamental pour l’équilibre de nos sociétés. Le care renvoie moins à une catégorie psychique (féminine) qu’à un travail qu’il faut rémunérer et professionnaliser. Il repose sur une anthropologie du besoin et se réfère à « l’attention » (Simone Veil citée par J. Tronto). Il implique un difficile équilibre à trouver entre l’empathie et le professionnalisme, l’implication et la compétence. Il n’est pas « don de soi » sans limite qui conduirait à l’épuisement, mais il n’est pas simplement « travail » : c’est une rencontre avec l’autre, avec les risques que cela comporte.
Table ronde 1 : Les dimensions sociales et politiques
présidée par Marc de Montalembert,
Justice et Paix
En quoi le care constitue-t-il un projet pour aujourd’hui ?
Par Étienne Pinte, ancien député maire de Versailles et président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
Etienne Pinte avoue sa perplexité devant cette notion qui ne correspond ni à notre culture, ni à notre histoire. Il pense que l’histoire judéo-chrétienne a une forte tradition de sollicitude, qui va bien au-delà du soin et implique la bienveillance au sens fort : cf. Le bon Samaritain. Il rappelle les figures de l’Abbé Pierre, de Joseph Wrezinski et de bien d’autres. Il préférerait que l’on traduise « care » par « fraternité », plus compréhensible et fédérateur, notion à laquelle il faudrait adjoindre « proximité » (la « non-indifférence » de Lévinas).
La fraternité est une éthique qui permet de développer des projets politiques dans les cinq domaines essentiels : hébergement ; formation ; emploi ; moyens de communication ; santé. Lorsque l’un de ces piliers de notre société est défaillant c’est aux pouvoirs publics de rétablir l’équilibre. Or aujourd’hui, cette fraternité est en danger. E. P. appelle à une « Semaine de la Fraternité » pour reconstruire des liens et des repères, lutter contre le repli sur soi, la peur, ou encore la critique de « l’assistanat ». Faire le pari de la fraternité, c’est mettre l’homme au centre, car « tout homme est une histoire sacrée ».
Comment et en quoi le souci de l’individu, en particulier vulnérable, peut-il devenir un objet politique ?
Par Serge Guérin, sociologue, spécialiste des questions liées au vieillissement et à la « seniorisation » de la société, des enjeux de l’inter génération et des théories du care.
Dans notre société de plus en plus de gens n’ont plus aucune prise sur leur avenir, sont fragiles et vulnérables. Beaucoup sont considérés comme inutiles parce que « inactifs ». D’où un sentiment d’insécurité à partir du moment où l’on n’a aucune prise sur son destin. Le mot « care » essaie de faire entrer dans tout cela. Accompagner pour dégager des capacités. Mais aussi prévenir, mener des actions de prévention pour n’avoir pas à traiter des fragilités.
Du care à la société d’accompagnement : une écologie politique du concret,
Par Gilles Séraphin, sociologue, directeur de l’Observatoire National de l’Enfance en Danger.
On peut retenir trois caractéristiques du care :
– Il ne distingue pas le privé et le public
– Il ne hiérarchise pas les aidés et les aidants mais s’inscrit dans une logique du don et du contredon, sans jugement moral des uns sur les autres : une relation d’échange.
– Il part du principe que nous sommes tous vulnérables à un moment ou à un autre de notre existence.
Une politique du care ne peut donc être ciblée sur telle ou telle catégorie sociale : elle concerne l’ensemble de la société. Elle peut s’analyser autour de six objectifs interdépendants : le droit, la lutte contre les inégalités (sociales ou de genre), le bien-être, la promotion des capacités d’agir de chacun, l’articulation de la solidarité privée et publique, la pédagogie et l’enseignement pour rendre visible le travail de care.
Ce qui débouche sur des projets politiques pour promouvoir le vivre ensemble et renforcer le lien entre les citoyens, et entre les citoyens et les institutions. Dans un rapport récent, G. S. a souligné les limites de l’état providence et proposé la définition d’un nouveau pacte social renforçant les capacités de chacun.
Table ronde 2 : Les pratiques mises en œuvre,
présidée par Étienne Hervieux , Petits Frères des Pauvres.
L’action d’ATD Quart-Monde et sa dimension politique,
Marie-Aleth Grard, Déléguée nationale d’ATD Quart Monde.
Après avoir indiqué qu’elle n’est pas très à l’aise avec la notion de care, Marie-Aleth Grard commente un avis qu’elle a rédigé pour le Conseil Economique et Social sur « une école de la réussite pour tous ». Il pointe du doigt le fait que dès la fin de la Maternelle, un enfant de famille très pauvre est orienté et que son dossier comporte « un volet social » établi par une assistante sociale, qui ne le quittera plus. La société se prive de la parole des plus pauvres (1,2 M d’enfants sont actuellement concernés en France). ATD quart monde entend faire reconnaître l’égale dignité de tous les êtres humains.
Elle essaie de la vivre dans la gouvernance du mouvement qui comporte : des « alliés » qui veulent faire bouger la société là où ils se trouvent par l’attention au plus pauvres ; des « militants » qui vivent ou ont vécu la très grande pauvreté ; des « volontaires », permanents qui reçoivent une mission au service des plus pauvres ; une équipe de gouvernance attentive aux compétences des personnes candidates au volontariat.
Joseph Wrezinki : « Nous n’avons pas d’ennemis à combattre, nous n’avons que des amis à gagner ».
L’intuition de la communauté de l’Arche et sa dimension éthique,
Mathieu Jacquemet et Marie-Odile Chauveau, responsables de la communauté d’Aigrefoin (Yvelines) et une personne accueillie.
A l’Arche, la personne marquée par le handicap n’est pas l’objet de soins mais elle est accueillie dans une communauté qui considère qu’elle a quelque chose à recevoir d’elle. Trois personnes sont intervenues autour de cinq objets pour évoquer les gestes, l’autorité, le lien, la fête et la prière. Accompagner n’est pas guider, insistent les responsables, tout en reconnaissant qu’ils n’arrivent pas toujours à le faire.
L’origine et la pratique des Vincentiens,
Bertrand Ousset, président de la Société saint Vincent de Paul.
Le care a nécessairement une dimension spirituelle : « les pauvres sont nos maîtres ». La Société fondée par Frédéric Ozanam en 1833 est une association de bénévoles laïcs. Pour les 17 000 bénévoles en France (800 000 dans le monde) la démarche de base est la visite à domicile et la relation interpersonnelle dans la durée. Les propositions du care trouvent des correspondances presque ligne à ligne dans la « règle » des Vincentiens.
Depuis deux ans, la Société a insisté sur le compagnonnage avec les plus faibles pour préparer « la rencontre du partage » qui vient d’avoir lieu à Strasbourg le jeudi de l’Ascension. Des fraternités de compagnons, accompagnants et accompagnés, se sont formées, en insistant sur la dimension spirituelle, dans le sens de la démarche Diaconia et de « La joie de l’Évangile » du pape François : « laissons-nous évangéliser par les pauvres… Tout ce que nous faisons pour les pauvres a une dimension transcendantale ».
Table ronde 3 : Le care sans le dire, hier et aujourd’hui
présidence François Ernenwein, rédacteur en chef à La Croix
Les « petits gestes» dans l’entraide et la protection des juifs persécutés en France (1940-1944),
Jacques Sémelin, historien, politologue, Sciences-po – CNRS
Le paradoxe dans la persécution des juifs entre 1940 et 1944 est que, avec un gouvernement collaborationniste, l’extermination des juifs a été beaucoup moins radicale en France que dans d’autres pays d’Europe (25% en France, 50% en Belgique, plus aux Pays Bas). L’enquête menée par J. Sémelin (Persécutions en entraide dans la France occupée, Les Arènes-Seuil, 2013) l’a amené à dégager l’importance des « petits gestes » dans l’aide apportée aux Juifs menacés, dès l’imposition du port de l’étoile jaune et surtout à partir des arrestations massives (Rafle du Vel d’Hiv, 1942). Ces petits gestes sont des saluts amicaux aux porteurs de l’étoile jaune, puis des gestes aussi simples mais décisifs, manifestant une volonté de « faire quelque chose » : s’interposer dans l’urgence, entre le chasseur et le chassé, en indiquant à une personne menacée de tourner immédiatement à droite pour éviter une souricière ou d’attendre pour rentrer chez elle ; ou encore ne rien dire, ne pas dénoncer la présence d’un juif.
Dans un pays où 90% des gens sont baptisés, il faut tenir compte des prises de positions de certains évêques (Mgr Saliège) mais elles viennent conforter des attitudes spontanées de compassion, surtout à partir du moment où l’on s’en est pris aux femmes et aux enfants. On ne peut pas dire que les auteurs de ces petits gestes « aimaient les Juifs », ou qu’ils se considéraient comme « résistants ». Mais on peut envisager trois facteurs en substrat : la valeur chrétienne de charité enseignée au catéchisme où presque tout le monde est allé ; l’héritage républicain incarné par les instituteurs (tous les enfants juifs vont à l’école publique en 1942-44), incarné aussi par les maires de villages et, d’une autre manière, par les assistantes sociales ; l’esprit patriotique enfin : on aide les Juifs, non pas parce qu’on les aime mais parce qu’on n’aime pas les « boches ».
Tout cela témoigne de ce que J. S. propose d’appeler « une réactivité sociale » face à une très grande vulnérabilité.
Personnes âgées et migrants : le triangle du care dans l’Europe du Sud,
Maurizio Ambrosini, professeur de sociologie des migrations à l’université de Milan.
La famille est au centre de la prise en charge des personnes âgées en Italie : les Italiens sont très réticents en face des institutions sociales. La solution trouvée est l’installation à domicile d’une personne aidante, généralement femme, immigrée et en situation irrégulière. Elles sont, selon les estimations, entre 800 000 et 1,6 M, alors que le nombre total de fonctionnaires de la santé est de 400 000. Quant aux migrants demandeurs d’asile, ils sont 70 000.
Il y a donc en Italie deux types d’immigrés :
– les migrants demandeurs d’asile, proportionnellement peu nombreux, protégés par la loi mais socialement rejetés (cf. La ligue du Nord sur de positions analogues à celles du Front national).
– les migrants irréguliers, beaucoup plus nombreux, sans aucune couverture légale évidemment, et très bien reçus par la société.
Il n’y a jamais de contrôles des personnels accompagnants à domicile ni dans la rue, et des régularisations interviennent périodiquement.
Cette solution a un coût humain lourd. Si les relations personnelles font de l’aide aux personnes âgées un emploi affectivement plus satisfaisant que d’autres, des problèmes naissent souvent pour cette raison dans les familles où l’aidante étrangère capte une partie de l’affection de la personne âgée aux dépens des enfants, des filles en particulier. Mais surtout, ces aidantes au quotidien sont éloignées de leurs propres familles pour des années, souvent très isolées (ne parlant pas ou mal la langue), en aucune façon associées aux décisions concernant la personne aidée.
Du care au droit au travers des expériences des ACAT en Afrique,
Sylvie Bukhari – de Pontual, professeur à la Faculté de Sciences Sociales et Économiques (FASSE) de l’Institut Catholique de Paris (ICP), présidente de la Fédération Internationale de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (FIACAT)
S. Bukhari-de Pontual attire vivement l’attention sur le fait que la critique des lois et des normes qui seraient des contraintes et empêcheraient de « prendre soin » correctement est le fait de gens qui ont l’avantage d’avoir des lois et des normes. L’Afrique est un monde où l’on se bat pour avoir des normes, des lois de protection sociale et où l’on finit par en obtenir (pas assez).
Les personnes les plus pauvres (malades, drogués, étrangers en situation irrégulière) qui sont dans les prisons, sont des personnes totalement vulnérables. En contexte de pauvreté générale, de guerre et de corruption, l’état et la société ont bien d’autres soucis que celui des personnes en prison.
Est-ce que l’ACAT fait du care ou est en opposition avec lui ? Les membres sont souvent des juristes qui s’engagent dans la lutte parce qu’ils croient en un système de normes et de droit internationalement reconnu. Ils ne sont pas d’abord dans une démarche de compassion mais dans une démarche de justice. Mais la démarche part d’une indignation devant l’atteinte à la dignité de l’homme : c’est le sentiment de partager la même humanité qui met en marche et l’on rejoint ici le care. La plupart des ACAT en Afrique ont été créées par des aumôniers de prison, des communautés religieuses ou des commissions Justice et Paix.
Table ronde 4 : Les chrétiens face au care,
présidence Nathalie Leenhardt, rédacteur en chef à Réforme.
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Le care dans la Bible,
Nathalie Chaumet, théologienne et pasteure de l’Eglise protestante unie de France.
La parabole du bon Samaritain est la parabole du care : souci d’autrui (caring about) ; sentiment de responsabilité (taking care) ; don de soins appropriés (care giving).
1. L’Evangile nous appelle à nous laisser toucher (cf. les émotions de Jésus), mais pas envahir, à laisser vivre en nous ce qui nous fait humains.
2. Jésus prend soin de l’humain en souffrance dans sa globalité, par son corps : il guérit par le toucher et réintègre ainsi dans la société humaine.
3. Jésus demande : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? ». Il donne la parole.
4. Certains ne parviennent pas à prendre la parole. L’Evangile nous invite à aider l’autre à la prendre : il faut quatre porteurs pour amener le paralytique à Jésus en passant par le toit.
5. Jésus prête attention à tous et en particulier aux plus vulnérables : il bénit les enfants, catégorie négligeable.
6. L’Evangile fait éclater les cadres traditionnels : c’est le Samaritain qui prend en charge le Juif alors que le prêtre et le lévite sont passés. Mon prochain est celui qui est sur mon chemin.
Le care et la charité chrétienne,
Jean-Guilhem Xerri, président d’honneur de « Aux captifs la libération », essayiste, biologiste médical des hôpitaux.
On peut définir le care comme une disposition, une sensibilité et une pratique, en vue de la préservation de la vie en général. Le concept repose sur une anthropologie du besoin, centrée sur les relations interpersonnelles. L’autonomie du sujet a besoin des autres pour être, d’où les mots –clé : attention, vulnérabilité, interdépendance.
Care est aussi un concept politique : il s’agit de recréer des poches qui échappent à la logique marchande libérale et en ce sens il peut être considéré comme alternative politique. Il produit une critique sociale intéressante que l’on peut résumer ainsi : s’il y a des gagnants que l’on valorise dans la société, c’est parce qu’il y a des invisibles à leur service, qui prennent soin d’eux, y compris dans leur propre famille.
Et la charité dans cette affaire ? La charité est le cœur même de Dieu et elle se décline en faire pour…, faire avec… La charité et le care ont donc à voir avec la souffrance, l’assistance, l’engagement des personnes. Ils sont aussi l’un et l’autre soumis au même procès en assistanat et en ringardise.
Mais il y a de grandes différences entre les deux :
– la charité n’est pas un projet public.
– « la charité n’est pas seulement l’assistanat » (pape François). La vulnérabilité est dans l’anthropologie chrétienne ; elle n’est pas toute l’anthropologie chrétienne.
– la charité est gratuité de mon ouverture à l’autre. Elle s’adresse à l’intégralité de la personne dans sa dimension spirituelle aussi (existentielle).
– la charité chrétienne a une source transcendante (indépendante du vulnérable) : c’est l’amour, c’est le Christ.
La charité s’adresse aux blessures sociales mais aussi à la blessure ontologique de l’homme.
Le care, c’est prendre soin de la vie.
La charité c’est prendre soin de la vie pour lui communiquer la vie de Dieu.
Conclusion :
Par Nathalie Sarthou-Lajus,
philosophe, rédactrice en chef adjointe de la revue Etudes.
– Le care est une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir et perpétuer notre monde, dans un contexte de fragilité. Il ne s’agit pas de transformer la vie mais de la soutenir et de la protéger. Ce qui pose une question grave : faut-il protéger une vie vulnérable ou risquer une autre vie ?
– La vulnérabilité n’est pas confortable mais elle est essentielle nous dit le care. Il y a une dignité de la vulnérabilité. Elle permet de rencontrer autrui dans une relation d’échange mutuel.
-Le care nous oblige à repenser autrement la question de l’autonomie. L’autonomie suppose la relation et la parole, la narration qui libère et conforte. Cette autonomie ne peut pas être une indépendance (cf. la personne et Mounier).
– Ne pas opposer care et justice (ou droit), mais bien voir que le care met l’accent sur la « réactivité sociale » (J. Sémelin) contre l’individu performant et triomphant.
– Le care est venu de milieux non chrétiens (et plutôt anti -) : il interroge les chrétiens et le christianisme dans leurs lectures de l’Evangile.