Assemblée générale d’orientation du 5/11/2016
Intellectuels chrétiens dans les débats contemporains.
Quel rôle pour Confrontations ?
1 – Ouverture par François Ernenwein,
rédacteur en chef à La Croix, président de Confrontations
Pour l’essor de Confrontations.
Les intuitions qui ont conduit à cette rencontre :
– place d’une association d‘intellectuels chrétiens. Les voies et les moyens thématiques de notre expansion sont l’objet de notre réflexion aujourd’hui.
– la définition de notre fonction pourra être guidée par le texte proposé par François Euvé, qui vous sera présenté tout à l’heure, qui insiste notamment sur la dimension œcuménique de notre travail.
Les objectifs :
– Peser plus encore dans le débat intellectuel, politique, ecclésial par un apport visible.
– Organiser des colloques en fédérant autour de nous, en multipliant les prises de position sur les grands sujets d’actualité, et en assurant des publications régulières de nos travaux (au moins deux par an).
– Une des priorités doit être de rajeunir l’association.
La visibilité de Confrontations
Ce sera un chantier prioritaire. Rendre Confrontations plus visible, notamment sur le web et sur les réseaux sociaux. Sortir de l’entre-soi. Un groupe doit continuer à réfléchir sur la façon de mieux faire connaître les travaux de Confrontations. Il faudrait que chaque adhérent identifie mieux ses contacts et ses relais en vue de la diffusion.
Les groupes de travail doivent inclure dans leurs préoccupations la diffusion ; désigner qui prend la parole pour faire passer ce que l’on produit dans la presse et les réseaux sociaux.
Il s’agit de faire émerger l’identité de Confrontations et de l’exprimer : recherche intellectuelle sur société, Eglise, foi et Evangile.
Quand on évoque la question de l’impact, on pose évidemment la question de l’investissement des membres qu’on souhaiterait toujours plus grand.
Le fonctionnement
Le bureau, et en particulier Françoise Parmentier pendant sa présidence, a porté l’essentiel des tâches d’animation. Un véritable secrétariat doit être mis en place pour assurer l’animation du réseau. Cessons de nous demander ce que Confrontations peut nous apporter et posons-nous loyalement la question de notre apport à Confrontations.
C’est une question de survie pour appuyer la présence d’une parole chrétienne dans le débat public.
Une proposition de travail ambitieuse sur l’historicisation contemporaine du christianisme.
Elle découle du constat de la prépondérance de nos travaux sur les questions de société, que nous traitons assez bien, et de la nécessité pour une association d’intellectuels chrétiens de traiter aussi des questions de fond sur le christianisme lui-même.
La question de son historicisation est posée par la liturgie et la catéchèse en particulier. Quelle historicité de l’Ancien Testament, du Nouveau Testament, des conceptions de l’Eglise, de sa composition, de ses pratiques, de son rapport à la société. Il s’agit de traiter ces questions positivement, en histoire et en théologie, et non de nourrir le scepticisme : c’est une ouverture nécessaire qui doit être une libération.
La question de l’historicisation est importante pour résister à toutes les formes d’intégrismes plus ou moins larvées et donner à nos contemporains des repères théologiques solides.
2. Conférences introductives
Ces conférences devant donner lieu à des publications d’ensemble, ne peuvent pas être mises en ligne : on lira ci-dessous des notes prises par le secrétaire de Confrontations.
2.1 Notes sur la dialectique de l’ouverture et de l’identité dans le catholicisme français contemporain.
par Guillaume Cuchet, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Paris Est-Créteil, auteur notamment de Le purgatoire, fortune historique et historiographique d’un dogme (2012) et de Faire de l’histoire religieuse dans une société sortie de la religion (2013)
– La distinction entre catholicisme d’identité et catholicisme d’ouverture (Philippe Portier) est utile mais problématique et appelle quatre réserves :
– elle a de fortes connotations idéologiques
– ce couple ne renvoie pas à la même chose : les catholiques « d’ouverture » affirment leur identité : cf. livre La gauche du Christ.
– les rapports conflictuels entre les deux apparaissent au niveau officiel (et intellectuel ?) ; beaucoup moins au niveau des paroisses
– la simplicité de cette distinction ne permet pas de rendre compte de la complexité de la situation
– Quatre tendances lourdes du catholicisme français depuis 50 ans :
– prise de conscience du fait que le catholicisme est minoritaire, risquant de conduire à un certain repli sur soi.
En 1960, la pratique dominicale était de 25 % (3 % aujourd’hui). Les situations de catholicisme majoritaire n’étaient pas rares. 94% de nouveau-nés étaient baptisés dans les trois premiers mois (34 % d’une classe d’âge dans les 10 premières années aujourd’hui) etc. On peut considérer qu’environ 3% des Français étaient totalement en dehors du catholicisme (le pourcentage des pratiquants hebdomadaires aujourd’hui).
– rupture de la transmission du christianisme dans les familles catholiques. (G. C. invite à faire l’histoire de grandes familles catholiques contemporaines pour étudier le phénomène). Particulièrement net chez les catholiques « de gauche » qui renvoient souvent à l’évolution du magistère qui n’a pas su prolonger l’élan de Vatican II. Meilleur taux de reproduction chez les conservateurs.
– exculturation du christianisme dans la société française (Danièle Hervieu-Léger). Ce qui ne signifie pas que les manifestants « pour tous » sont exculturés. S’accompagne d’une patrimonialisation du christianisme : demande d’un enseignement laïque des religions.
– effacement des chrétiens de gauche : retour sur ce plan à une situation analogue à celle de l’avant seconde guerre mondiale.
– un fait majeur : la montée de l’islam avec les inquiétudes que cela suscite. Les catholiques restent beaucoup plus nombreux que les musulmans, mais ces derniers sont proportionnellement beaucoup plus nombreux à considérer que la religion est pour eux « très importante ».
– Des éléments qui peuvent modifier l’évolution en cours :
– le Pape François s’est dit « de gauche » (à la latino-américaine)
– les migrations font que dans certaines églises (banlieue parisienne et autres) les Français de souche sont moins nombreux que les immigrés
– les « identitaires » sont aussi capables d’évolution : le Concile de Vatican II a été fait par une Eglise formée sous Pie XII.
Il vaudrait mieux parler d’un courant attestataire (plutôt qu’identitaire) : tous les catholiques se disent ouverts. Le défi, c’est de piloter le fait que les catholiques sont minoritaires.
2.2 La crédibilité du catholicisme aujourd’hui
par Paul Thibaud, philosophe, ancien directeur de la revue Esprit,
1. Nous sommes sortis d’un été de la Saint-Martin du catholicisme en France qui a duré de 1900 à 1960 environ. Il y a eu consonance du civique et du chrétien. Clémenceau, le 11 novembre 1918 : « La France, hier soldat de Dieu, aujourd’hui soldat du droit ». Une disposition religieuse (la morale laïque) est indispensable à l’état. La loi Debré sur l’enseignement catholique est le dernier avatar de cette consonance.
Pourquoi en sommes-nous sortis ? A cause du succès de la démocratie. Dans le monde catholique, y compris de gauche (Esprit), on a longtemps eu un certain mépris de la démocratie « à la Edouard Herriot », considérée comme quelque chose de mou. Or elle s’est affirmée et a acquis une aura morale qui fait qu’elle remplace en partie le religieux : c’est l’état qui est « providence » ou du moins qui l’était.
Aujourd’hui, la démocratie a perdu une partie de son aura, elle n’apparaît pas forcément comme éclairant l’avenir, et le monde lui échappe.
Le religieux et le politique sont souvent en opposition, dans un antagonisme généralement artificiel, mais l’un et l’autre sont en situation difficile.
2. Pour les chrétiens, la Parousie n’a pas encore eu lieu et le non-retour du Christ les met dans une situation d’attente et d’incertitude : on a construit l’Eglise pour prolonger l’Incarnation dans l’histoire. Un parcours de l’histoire de l’Eglise montre comment le christianisme occidental est devenu impérial dès l’Antiquité, comment la Réforme grégorienne au XIe s. a séparé l’Eglise de l’Empire et comment le religieux chrétien a eu tendance à tout englober : le rêve chrétien médiéval aurait été d’arrêter l’histoire dans un monde parfait (la chrétienté et la Somme théologique de Thomas d’Aquin). La Réforme remet l’accent sur la foi au prix d’un rejet du monde extérieur, tandis que l’Eglise catholique se replie sur le dogme. Mais de fait, c’est la mise en place de princes et d’états confessionnels, dont on ne sort qu’avec Léon XIII et le ralliement à la république à la fin du XIXe s.
3 Les ateliers
Atelier 1 : Comme chrétiens aujourd’hui, qu’avons-nous à transmettre ?
Animateur Geneviève-Dahan Selzer, rapporteur Laurent Lemoine,
– Nous rappelons l’exculturation totale du christianisme aujourd’hui, notamment dans la jeune génération. Cette question excède le christianisme car elle affecte aussi les autres grandes traditions religieuses du monde
– Nous sommes en recherche, en besoin de fondamentaux.
– L’assassinat du P. Jacques Hamel demeure un événement extraordinaire qui a fait basculer la séquence alors négative des liens entre l’Eglise et les institutions de la République.
– Nous notons que transmettre est à lui seul un terme problématique : aucune transmission n’est vraiment réussie. Etudier serait mieux.
– Le dialogue interreligieux doit porter sur les points faibles et les lacunes existant dans nos traditions et entre nous plutôt que sur les dogmes assurés qui risquent de mener au conflit.
La question de la mixité ou celle de la justice sociale semble, à cet égard, paradigmatique.
– Existe-t-il un spécifique chrétien (voir Eric Fuchs ou Xavier Thévenot) qui fournisse les critères de l’identité chrétienne ? Un effet de trompe-l’œil n’est pas impossible ici. Les critères semblent avoir quelque peu varié d’un pontificat à l’autre, de Benoît XVI à François, à moins que les cartes ne soient rebattues autrement… ?
– La diffusion de l’enseignement social des évêques (voir leur dernière lettre sur le politique) semble restreinte, très peu repris dans les assemblées eucharistiques, par exemple.
– Nous souhaiterions que Confrontations organise un échange sur les grands enjeux de la prochaine élection présidentielle.
– Dans le débat public, nous notons la différence qualitative suivante : tantôt ce sont des individus, tantôt ce sont des groupes qui s’engagent et s’expriment au nom de leur identité chrétienne, ce qui ne donne pas le même résultat.
– Confrontations a sûrement un rôle de lanceur d’alerte et d’incitateur aux grands débats Eglise/monde.
– Que transmettons-nous ? De façon caricaturale, on pourrait dire : l’Evangile ou l’Eglise ? Une morale, des valeurs, une foi, une religion ? Les distinctions sans séparations sont indispensables.
– Confrontations ne peut prétendre exprimer que la parole de chrétiens et non pas des chrétiens car aucune institution ne peut plus le faire aujourd’hui. En ce sens, la Manif pour tous a représenté un moment illusoire d’homogénéité radicale.
– Confrontations a aussi certainement un rôle à jouer dans le maintien de la continuité patrimoniale du christianisme sans se limiter à cela, mais compte tenu de l’ignorance actuelle des racines judéo-chrétiennes.
– Plusieurs remarquent enfin le défaut d’une approche anthropologique nécessaire à nos débats et à la compréhension de l’identité chrétienne : biblique, sociale, etc.
Atelier 2 : Quels sont les défis de notre société pour les chrétiens ?
Animateur Yann Raison du Cleuziou, rapporteur Guy Coq.
1. Plusieurs intervenants ont exprimé un refus de la tendance à porter a priori des jugements négatifs globaux sur notre société notamment sur le plan anthropologique. L’Eglise devrait sortir d’une position défensive. Elle devrait aussi revoir les positions incompréhensibles sur la contraception, rompre, a dit un intervenant, avec « le péché d’origine » d’Humanae vitae. Dans le même sens s’est exprimé le désir de prendre vraiment le tournant de l’égalité homme/femme dans l’Eglise : sur ce point la société nous attend.
2. L’idée a été admise que, sur toutes les questions abordées, au lieu de fragmenter la réflexion, on explicite ce qui les sous-tend : la crise du sujet politique est centrale, c’est à dire aussi l’enjeu de la reconstruction du « nous » et la rupture avec l’individualisme.
3. Plusieurs intervenants abordent des aspects de la situation morale et spirituelle de notre pays, à la fois positifs et négatifs.
Au positif : le désir de construire des cadres pour agir ; celui de faire reculer la désintégration du collectif. Des sursauts de l’espérance collective.
Au négatif : de divers côtés des souffrances dues à des humiliations. L’attrait du FN mais qui ne se réduit pas à un désespoir civique. Le résultat de la suspicion sur les convictions fortes. La tentation de la peur et du gouvernement de la peur.
3. La difficulté de se positionner comme citoyen chrétien a été soulignée. Il y a le risque que « chrétien » ne soit qu’une étiquette. Quant à la référence aux racines chrétiennes, comment éviter que ce soit une patrimonialisation ?
Ce problème de positionnement touche à la question : comment Confrontations peut-elle prendre la parole ? Quelle est notre mission ? N’a-t-on pas perdu le sens de notre mission comme chrétiens ?
4. L’importance des grands changements dans l’éducation a été plusieurs fois abordée.
S’agissant des moins de 18 ans, que faut-il transmettre ?
On constate dans l’éducation des carences : sur le sens, sujet tabou, sur les convictions, mal vues à l’école. On est devant le défi d’une jeunesse majoritairement incroyante, ou se croyant telle, et qui se tait face à deux minorités très identitaires qui affichent leurs convictions : musulmans et juifs.
La question d’une relance de la réflexion sur l’enseignement des religions à l’école a été formulée. Evocation du travail de Confrontations avec la Ligue de l’enseignement sur l’enseignement de la morale conclu par un livre en commun.
Le thème Convictions et éducation serait à redécouvrir. Confrontations a, il y plusieurs années, animé un « manifeste » sur ce point. [Note du rapporteur : lors de la dernière réunion de la commission laïcité de la Ligue de l’enseignement, cette question a été longuement débattue].
5. La laïcité a été rapidement évoquée. Le rapporteur ajoute après coup une question : les catholiques qui très souvent résument la laïcité à un champ de polémiques où plus rien n’est clair, ne devraient-ils pas faire le détour d’un examen objectif de la politique suivie par le gouvernement au cours de ce quinquennat : permanence de la jurisprudence libérale du Conseil d’état, encore une fois exprimée par la décision sur les crèches de Noël (point important parce que c’est la reconnaissance d’une distinction cultuel/ culturel).
Atelier 3 : Les chrétiens et les autres.
Animateur Isabelle de Lamberterie et rapporteur Guillaume Légaut
En préambule, les participants ont souligné l’apport des penseurs issus des autres religions ou non croyants pour aider les chrétiens à penser leur rapport aux autres.
Un ensemble de contributions a porté sur l’importance du dialogue avec les autres religions pour bénéficier de leur apport sur les questions de société. Les participants ont notamment indiqué que vivre la laïcité, c’est établir l’autre comme frère. L’apport des protestants, et aussi, pour une participante, des juifs, est éclairant pour entrer dans l’intelligence des questions de société. Il a été regretté la disparition des espaces publics de dialogue entre croyants et non-croyants, dans la société actuelle. Le dialogue avec la Ligue de l’Enseignement permet un dialogue fécond avec le monde d’obédience laïque. Plusieurs participants observent que les musulmans ont besoin d’entendre les chrétiens parler de leur rapport à la société, comme croyants confrontés à des questions et à la complexité, afin de pouvoir mieux construire leur propre rapport à la société comme musulmans.
Un second axe de réflexion a porté sur la relation du religieux à la société. Il a notamment été exprimé l’enjeu de trouver des lieux communs permettant la rencontre entre les religions. L’exploration du dialogue sur un plan inter-convictionnel apparait plus féconde que celle d’un dialogue au plan interreligieux. Un participant a souligné l’enjeu d’établir un vocabulaire et un langage commun pour avoir un véritable dialogue. Un autre a relevé l’utilité d’un éclairage historique pour pouvoir penser le religieux aujourd’hui. Il convient cependant de ne pas être naïf sur l’ambigüité paradoxale de certains musulmans demandant au monde moderne la liberté au nom des valeurs démocratiques qu’ils contestent par ailleurs au nom de leur tradition.
En conclusion, la nécessité, de la part des chrétiens, de penser et de donner à voir aux autres un rapport critique au monde moderne apparait comme un enjeu pour permettre un dépassement du rapport actuel du religieux et du politique et pour ré-enchanter l’espérance dans un autre monde à venir.
Atelier 4 : Rôle des chrétiens dans la société.
Animateur Françoise Parmentier, rapporteur Christophe Henning
Les participants à l’atelier ont à la fois abordé le rôle des chrétiens dans la société et le rôle de Confrontations dans le débat public.
Partant de la « conversion » de Jérôme Kerviel, la discussion soulignait que cet épiphénomène pouvait être aussi le lieu d’une présence chrétienne puisqu’il s’agit de justice, d’équité, de grands équilibres financiers. Plus généralement, l’idée d’exemplarité est rejetée en bloc : pas question d’endosser le rôle des « bons chrétiens » vis-à-vis de la société. Mais il y a une mission de « témoignage », d’action positive, davantage par l’engagement personnel, qu’une référence collective et globalisante des chrétiens dans la société. Les chrétiens engagés sont d’ailleurs « reconnus dans la masse » sans qu’ils aient pour autant une vocation de « lobby ».
Ce qui pose quand même la question d’une existence collective, d’une visibilité dans une société hyperlaïque, qui considère les chrétiens comme « subjectifs » — notamment par les médias —, défendant leurs intérêts. Comment faire pour « exister » dans le débat ? Etre exemplaire dans le travail intellectuel, mener une réflexion approfondie et large, comme Mgr D’Ornellas a pu le faire autour des questions éthiques, comme l’école catholique peut le montrer dans son engagement pédagogique : le travail en profondeur est reconnu par les interlocuteurs.
Le débat s’est ensuite intéressé aux « identités plurielles », avançant une théologie du « et » : nous sommes « médecin ET chrétien », « universitaire ET catholique », et non pas médecin chrétien ou universitaire catholique, alors même qu’émerge une génération pour qui l’identité chrétienne est première. Cette double appartenance à des « communautés » peut interpeller le monde quand se dévoile l’aspect chrétien : « nous sommes attendus là, à ce niveau de profondeur, d’engagement ». Le chrétien n’est pas « à part » : « nous ne jouons pas le <catho de service> mais posons les bonnes questions » dans les divers milieux de notre existence. Ce qui nous « oblige » vis-à-vis de la société et nous porte à la vigilance et à l’expertise, par exemple dans le rapport à l’argent, aux défis écologiques, à l’injustice sociale… Ces interventions se vivent en dialogue avec la société car les chrétiens ne sont pas « propriétaires » de ces problématiques. Cette identité diverse et cette ouverture aux autres créent certainement un inconfort, mais c’est justement cet inconfort qui nous permet et nous pousse à avancer.
4 Deux interventions à télécharger
4.1 Comment Confrontations s’est posé la question des intellectuels chrétiens, 1999-2013.
par Michel Sot, professeur émérite d’histoire médiévale à l’université Paris-Sorbonne (Paris IV), secrétaire de Confrontations.
intervention-michel-sot-5-novembre-2016
4.2 Propositions pour des intellectuels chrétiens, la spécificité de Confrontations
par François Euvé, jésuite, directeur de la revue Etudes, membre du bureau de Confrontations,
intervention-francois-euve-5-novembre-2016
5 Bilan et mise en perspective de la journée
par Charles Mercier, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Bordeaux, auteur notamment de René Rémond et Nanterre : les enfantements de 68. Contribution à l’histoire d’un universitaire et d’une université iconiques, 2016.
Il est complexe et intimidant pour moi de proposer une conclusion et des pistes d’ouverture, et ce d’autant plus que je suis présenté par le biais de mon travail sur René Rémond, orfèvre en matière de fermetures de colloque, sachant présenter de manière parfaitement claire et limpide les points saillants d’une journée alors même qu’il avait passé son temps à traiter son courrier et à consulter son agenda.
Je m’essayerai néanmoins à la tâche en essayant de dégager quelques points à la lumière :
– de mes connaissances sur l’histoire du CCIF sous la présidence de René Rémond
– de quelques travaux que j’ai réalisés sur le rôle de l’engagement religieux dans la production scientifique
– de ma propre expérience personnelle
Ce qui m’a marqué aujourd’hui relève de trois ordres :
– les points de continuité avec l’histoire longue des intellectuels chrétiens
– les éléments de discussion propres à notre époque et au contexte dans lequel nous vivons
– les pistes d’avenir qui ont été formulées
1/ Les points de continuité avec l’histoire longue des intellectuels chrétiens
Sur bien des points, la journée d’aujourd’hui m’a semblé prolonger les réflexions et les pratiques des devanciers. J’ai entendu plusieurs résonances avec l’histoire que j’ai étudiée.
1-1/ Du point de vue de la forme : le travail en atelier.
Lors des dernières semaines du CCIF, notamment celle de 1973 : « Qu’est-ce qu’être chrétien ? », des carrefours rassemblant les participants avaient été organisés afin de faire participer le « public ». Cette nouvelle formule faisait droit, d’une certaine manière, à la revendication de la « prise de la parole » formulée par les acteurs de Mai 68 et théorisée par Michel de Certeau[1]. La parole ne doit pas être que descendante, des conférenciers vers le public. Aucune synthèse n’est possible sans que les participants se soient écoutés les uns les autres, dans leur diversité.
1-2/ Les rapports avec Rome
François Ernenwein et Hervé Legrand ont fait part du voyage du bureau de Confrontations à Rome et du bon accueil qu’ils avaient reçu dans les différents dicastères. Cela m’a fait penser au souci de René Rémond, et de l’accompagnateur ecclésiastique au cours de sa présidence du CCIF, Michel Coloni, de nouer des relations de confiance avec Rome. Ces relations passaient par des voyages pour déminer d’éventuelles incompréhensions et promouvoir le travail fait à Paris par les intellectuels catholiques. De fait, alors que les relations entre le CCIF et la hiérarchie catholique française et romaine avaient pu être tendues dans les années 50, elles sont excellentes entre 1965 et 1975. En 1975, alors que le CCIF connaît de graves difficultés financières, Paul VI fait un don de 100000 Francs. Le cardinal Villot, qui gère l’affaire, écrit à Rémond que ce geste témoigne de « l’intérêt profond du pape pour la pastorale de l’intelligence ».
Cela n’empêche pourtant pas le CCIF de développer un espace de pensée et de réflexion autonome par rapport au magistère, notamment sur les questions de morale sexuelle et familiale (par exemple au cours de la semaine 1972 intitulée « Maîtriser la vie ») durant laquelle Rémond s’est plutôt montré proche des positions défendues par le dominicain Philippe Roqueplo qui ouvraient la voie, sous certaines conditions, à un consentement des catholiques à une dépénalisation de l’avortement.
1-3/ Quelle doit être l’orientation de Confrontations ?
Cette question est revenue à plusieurs reprises au cours de la journée. Elle était déjà récurrente dans l’histoire du CCIF, notamment après 1968. Dans les comptes-rendus de l’équipe dirigeante, la question de savoir si le CCIF doit être un lieu carrefour des différentes tendances qui traversent l’Église, ou une structure engagée, aile marchante du catholicisme français, se pose régulièrement. Rémond et Coloni ont privilégié la première option, ce qui suscita le départ de personnes comme André Astier (secrétaire général du CCIF jusqu’en 1968 et physicien de renom).
1-4/ De la difficulté d’être un intellectuel chrétien
Michel Sot, dans son intervention, a rappelé qu’en 2013, lors de l’assemblée générale de Confrontations, bien des personnalités invitées avaient refusé de se reconnaître comme « intellectuel(le) chrétien(ne) ». C’était le cas notamment de Dominique Quinio. Le poids du mot et la stature des devanciers font que l’appellation semble trop lourde à porter.
Cela a fait écho pour moi, non pas avec le CCIF des années 1970, mais avec le débat qu’il y a eu au milieu des années 1990 sur les intellectuels catholiques. Déjà à cette époque, dans les tribunes publiées dans la grande presse, on pouvait voir que le terme « intellectuel catholique » ou «chrétien » posait problème. Olivier Boulnois et Rémi Brague avaient notamment publié dans Le Monde une tribune « Pourquoi nous ne sommes pas des ‘‘intellectuels catholiques’’ » (9 avril 1996), récusant le positionnement de l’intellectuel à partir d’arguments réactivant ceux d’Henri Brunetière au début du XXe siècle : les intellectuels sont ceux qui « déraisonnent avec autorité sur les choses de leur incompétence ». Aux pétitions et à la présence dans les médias, les deux philosophes, investis dans la revue Communio, déclaraient préférer le travail en profondeur à travers leurs cours et leurs livres.
À côté de ceux qui récusent le terme d’intellectuels, il y a ceux qui récusent celui de « catholique » ou de « chrétien », notamment en sciences sociales des religions. C’est par exemple le cas d’Etienne Fouilloux, qui fut un temps membre du bureau du CCIF, et qui, depuis sa démission en 1973, souhaite poser une frontière étanche entre son activité intellectuelle et son engagement confessionnel.
Au-delà de ce débat du milieu des années 1990, le terme d’ « intellectuel catholique/chrétien » a toujours été problématique en champ catholique. Le vocable intellectuel, né dans le contexte de l’Affaire Dreyfus, a mis du temps à être apprivoisé dans les sphères catholiques, qui s’étaient majoritairement rangées dans le camp antidreyfusard au tournant des XIXe/XXe siècles.
1-5/ La question de l’investissement des membres de Confrontations
J’ai été frappé d’entendre les appels à la mobilisation de Françoise Parmentier, déplorant qu’un trop petit nombre de membres soient fortement investis dans l’association.
J’ai cru entendre le René Rémond de 1973-1974, cherchant désespérément un nouveau rédacteur en chef pour la revue du CCIF, Recherches et débats, ou un nouveau secrétaire général. Il a eu l’impression, dans les dernières années, de porter le CCIF à bout de bras, avec l’assistant ecclésiastique, d’autant qu’il y avait des démissions en série.
La relève générationnelle n’était pas assurée. Des personnes comme Etienne Fouilloux, Claude Langlois, Aline Coutrot, qui ont participé un temps aux activités du CCIF s’en éloignèrent à partir de 1973.
Cette désaffection a été expliquée par René Rémond, comme par Danièle Hervieu-Léger, par une sorte de transfert des espérances du religieux vers la politique, avec notamment l’investissement d’un certain nombre de catholiques au Parti socialiste.
Mais la lecture de la correspondance de René Rémond m’a amené à faire d’autres hypothèses. La désaffection des jeunes universitaires et leur non-engagement durable au CCIF s’explique aussi, me semble-t-il, par le durcissement des conditions du recrutement académique au cours des années 1970. Les postes devenant de plus en plus concurrentiels, il n’y a plus forcément de place pour un engagement intellectuel désintéressé et militant, non valorisable dans la sphère universitaire. Par ailleurs, les années 1970 correspondent à un désenchantement vis-à-vis des institutions et à une revalorisation de la vie privée et familiale, y compris dans les discours ecclésiaux. Les correspondants de Rémond font état de leurs obligations conjugales ou familiales pour justifier leur manque d’investissement. De ce point de vue, il y a une claire rupture avec le modèle incarné par exemple par le couple Rémond, où le militantisme catholique tient une place déterminante dans l’existence, et où la femme met son énergie au service des activités de son mari.
1-6/ Question de l’audience ad intra
La question de l’impact des travaux de Confrontations sur les Eglises chrétiennes de France a été posée par plusieurs intervenants, notamment par François Euvé, qui s’est demandé « comment être audible et visible ».
Là encore, cela m’a fait penser à la situation des années 1970. En 1973, le secrétaire général de l’épiscopat, l’abbé Paul Huot-Pleuroux, avait rédigé, en concertation avec les dirigeants du CCIF, une note pour alerter les catholiques de France sur le risque du désinvestissement de la fonction intellectuelle.
La fin des années 60 s’est accompagnée d’un renouveau d’anti-intellectualisme dans l’Eglise catholique. C’est à la fois la résurgence d’une tradition ancienne, constitutive du christianisme (orgueil de l’intelligence…) et un phénomène nouveau alimenté par le procès fait à la culture par une certaine pensée 68.
La fin de l’audience des intellectuels était peut être aussi due au fait qu’ils avaient, avec la fin du Concile Vatican II, accompli leur mission de réconcilier l’Eglise et le monde moderne (hypothèse de Jacques Julliard).
On peut se demander si aujourd’hui, avec le développement des réseaux sociaux, des médias internet de type blog, la fonction intellectuelle n’est pas encore plus affaiblie dans l’Eglise. Les « intellectuels » sont comme court-circuités par de nouveaux acteurs qui se présentent comme délivrant de l’information brute (émergence et influence de sites comme Le Salon beige).
1.7/ Influence ad extra
Au cours de la journée est également revenue la question de l’influence en dehors des sphères chrétiennes. Cette question n’est pas, là non plus, nouvelle.
Au cours des années 1970, l’équipe dirigeante du CCIF fait le constat qu’elle a « décroché » des évolutions de la pensée contemporaine, notamment en philosophie, en ratant le train du structuralisme.
Au-delà des paradigmes intellectuels, il me semble que ce qui a affaibli l’audience des pensées fondées sur une conviction croyante, c’est le discrédit général qui affecte les idéologies à partir des années 1970. Le procès du communisme par ceux-là même qui avaient été des « compagnons de route » rend suspecte toute pensée à soubassement convictionnel fort et impose une forme d’étanchéité entre militantisme et activité savante.
Les conflits auxquels les chrétiens progressistes se sont heurtés avec l’Eglise institution (Poulat, Maître, Isanbert…, fondateurs du Groupe de sociologie des religions) explique aussi le désengagement idéologique d’une partie des universitaires venant du catholicisme.
2/ Les spécificités du présent
Au cours de cette journée, à côté des éléments qui se rattachaient à une histoire, il y en avait d’autres qui étaient, selon moi, liés aux questions du présent.
J’ai été frappé notamment par la récurrence des interrogations sur l’islam, à la fois dans les conférences et les ateliers (Guillaume Cuchet, Paul Thibaut, Richard Amalvi[2]…). Dans le carrefour sur le dialogue interreligieux, on sentait une certaine forme d’appel à la prudence dans le dialogue avec l’islam. Cela semble être le reflet d’une évolution assez forte du rapport des catholiques à l’islam sur lequel il pourrait être intéressant d’interroger.
J’ai également été frappé par la fréquence des références au christianisme patrimonial (interventions de Catherine Gremion, de Laurent Lemoine, de Guy Coq…). Le thème de la continuité patrimoniale du christianisme, à défaut d’une continuité de la foi, semble important pour plusieurs participants.
3/ Les pistes d’avenir et propositions
Au cours de cette journée, des pistes pour l’avenir ont aussi été évoquées. Yann Raison du Cleuziou a même lancé l’idée d’organiser un colloque sur la manière d’imaginer la France de 2050. A la lumière de tout ce qui a été dit, j’aimerais formuler à mon tour quelques propositions.
3-1/ penser la figure de l’intellectuel de manière inductive
Il a souvent été question au cours de l’assemblée générale des « grands aînés » (Rémond, Sainsaulieu…)
Ils ont parfois été présentés comme des figures inhibantes, parfois comme des figures inspirantes.
Au « panthéon » des intellectuels chrétiens, j’aimerai ajouter la figure de Frédéric Ozanam (1813-1853). Elle peut permettre, peut-être, de répondre à la question évoquée dans le point 1-4.
Ce Lyonnais intègre la sphère universitaire et culturelle à une époque, le début des années 1830, où le catholicisme est devenu une option convictionnelle parmi d’autres, mais bénéficie d’une forme de prestige, dû notamment au rayonnement de Chateaubriand ou de Victor Hugo, alors catholique. Professeur de littérature comparée à la Sorbonne, Ozanam cherche à être à la fois « universitaire » et « catholique » et à créer des synergies entre ses deux appartenances.
Dans l’université publique, il porte une pensée cherchant à réhabiliter le christianisme. Dans l’Église catholique, il se fait le promoteur de la liberté et de la démocratie politique et sociale en montrant leur conformité aux préceptes évangéliques et à l’histoire de l’Église. D’un côté, son catholicisme inspire ses recherches comme principe de motivation et clé de compréhension, de l’autre ses recherches sont ordonnées à une forme d’apologie de la foi chrétienne mais aussi à une réforme interne de l’Église catholique, dans un sens libéral et social. Il investit par ailleurs le champ politique et médiatique, en prenant position sur les enjeux de son temps, notamment pendant la révolution de 1848, sur la fermeture des ateliers nationaux ou la misère urbaine.
La posture d’Ozanam, représente une sorte de « modèle fondateur », non pas qu’elle ait directement inspiré ses successeurs, mais parce que ceux-ci, évoluant dans une configuration comparable, ont refait le même itinéraire. Elle correspond à une veine qui traverse l’histoire du catholicisme français et qui peut aider à penser le concept d’ «intellectuel catholique ».
A la lumière de sa trajectoire, on peut peut-être désigner comme « intellectuels catholiques » les travailleurs de l’esprit de confession catholique, assumant publiquement des liens entre leur activité professionnelle et leur foi en cherchant 1/ à développer une présence chrétienne dans le champ de la pensée 2/ à aider l’Église catholique à s’adapter à la modernité politique et culturelle 3/ à prendre position sur les enjeux de leur temps en essayant de dissocier catholicisme et conservatisme.
3.2/ Légitimité de l’engagement dans la professionnalité (reconnaissance explicite de la croyance dans la professionnalité)
Au cours de la journée, on a senti un certain nombre de participants désireux d’assumer les références spirituelles sous-jacentes à un certain nombre d’engagements et de prises de position. Patrick Boulte, dans un des deux ateliers du matin, a ainsi expliqué qu’il avait trouvé dommage qu’au cours de l’université d’automne d’Esprit civique à laquelle il avait assisté, les participants, dont la plupart étaient inspirés par le christianisme, ait caché cette référence.
Dans le même atelier, Michel Sot a déclaré que pour lui, l’enjeu de l’intellectuel chrétien consistait à articuler « la bonne nouvelle de Jésus-Christ » avec l’existence professionnelle et à irriguer l’une par l’autre. Isabelle de Lamberterie a expliqué comment l’enracinement chrétien permettait de voir les choses, y compris dans le domaine scientifique, d’une autre manière, avec la perspective de l’espérance. Dans son intervention de l’après-midi, Michel Sot a rappelé que, dans la synthèse des réponses au questionnaire préparant le colloque de 2013, l’intellectuel chrétien était appelé à mener un travail critique sur la société dans laquelle il était engagé, « sous le regard de la prière, se laissant façonner par le Verbe, la parole vivante, pour rechercher la vérité ».
Dans l’un des ateliers de l’après-midi, une personne a raconté comment l’expérience croyante pouvait donner une générosité dans le travail intellectuel, alors même que le monde académique est souvent individualiste.
Il me semble qu’il y a à travers ces interventions :
A/ d’une part une interrogation sur l’opportunité de dissimuler le référentiel spirituel sous-jacent à un certain nombre de positions.µ
B/ et d’autre part un désir de synergie entre l’expérience religieuse et le travail intellectuel
Or, comme rappelé à d’autres moments de la journée (voir point 1.7), il y a un discrédit déjà ancien frappant la figure de l’intellectuel, chrétien en particulier et engagé en général.
Cependant il me semble qu’un certain nombre d’éléments amènent à penser que ce discrédit peut être dépassé et que les désirs exprimés ne sont pas forcément utopiques.
Concernant le point A, en revenant à la posture épistémologique défendue par Michel de Certeau (qui est dans une certaine mesure dans le prolongement de celle d’Henri-Irénée Marrou), on peut justifier la mise à jour du référentiel spirituel des intellectuels enracinés dans une foi.
Présenter « le lieu depuis lequel on parle » est à bien des égards un gage de scientificité. Il permet de mettre sur la table ce qui, dans notre façon d’appréhender le réel, détermine notre regard. Il ouvre la possibilité aussi d’un dialogue, par le fait que celui qui parle se reconnaît comme un être situé dans le monde. La référence religieuse est dans ce cas-là déclaration d’humilité de la part de celui qui la fait : je vois le réel selon une certaine perspective, ce qui ne m’empêche pas de tendre du mieux que je peux vers l’objectivité.
D’un point de vue personnel, j’ai expérimenté récemment, à l’occasion d’une tournée de conférences au Québec, comment le fait de reconnaître que mon rapport à la diversité religieuse était influencé par mon identité catholique, ouvrait la possibilité d’un débat avec le reste des participants, dans le respect de la pluralité de leurs identités. La référence religieuse assumée peut être un acte permettant l’enrichissement du dialogue. Elle permet la prise en compte, dans les débats intellectuels, des trajectoires de vie et de leurs rôles dans la manière dont nous nous positionnons. Sans aller tout de suite sur le terrain des principes généraux et de la spéculation, elle autorise cette question toute simple : « Qu’est ce qui, dans ton histoire de vie, fais que tu penses ça ? »
Concernant le point B, il me semble que des figures contemporaines comme celles du philosophe canadien Charles Taylor montrent la fécondité qu’il peut y avoir à connecter l’expérience spirituelle et l’expérience intellectuelle. Taylor, en faisant une place, dans sa réflexion philosophique, à son expérience spirituelle, renouvèle la pensée contemporaine en introduisant notamment des éléments très novateurs sur la reconnaissance, le multiculturalisme ou encore la place des expériences de plénitude dans la manière dont nous définissons ce qu’est une vie bonne. L’expérience croyante n’est-elle pas ce qui peut permettre, dans le champ intellectuel, de « penser hors de la boîte », en voyant les choses différemment ? Elle peut aussi être l’élément de vigilance qui préserve d’une « science pour la science » (syndrome de la tour d’ivoire) et pousse l’intellectuel à se demander dans quelle mesure son travail est utile au monde et à la société.
3.3/ L’empirie : pour un retour de la « sociologie catholique » ?
Un nombre important de participants ont insisté pour que les faits soient regardés avec plus de précision (références de Laurent Lemoine aux enquêtes, de Dominique Chivot aux sondages…).
Guillaume Cuchet a évoque le chanoine Boulard et ses enquêtes de pratique dominicale.
Dans les années 1960, la sociologie catholique a dépéri. L’intuition sous-jacente « voir juste pour agir bien » semblait inopérante. Les diagnostics sur l’état pastoral de la France ne permettant pas une action missionnaire efficace.
Confrontations reste un des lieux dans lequel l’enquête sur le catholicisme reste pratiquées (enquête de Yann Raison du Cleuziou, Françoise Parmentier, Geneviève Dahan-Seltzer sur les catholiques d’aujourd’hui).
Aujourd’hui, après le tournant spéculatif et dogmatique du catholicisme au cours des années 80 du siècle dernier, n’est-il pas temps de renouer avec une veine plus empirique, pour regarder le réel tel qu’il est ? Quel concours Confrontations peut-elle apporter à cette dynamique ?
3.4/ Montrer que la pensée chrétienne n’est pas nécessairement en réaction
Cette piste a été évoquée, selon des perspectives différentes, par Paul Thibaud et François Euvé. Elle caractérise sans doute la mission de l’intellectuel catholique (filiation d’Ozanam, voir point 3.1).
Aujourd’hui, sur bien des questions, un discours catholique non réactionnaire pourrait être intellectuellement plus étayé : je pense notamment à la place de la diversité religieuse et ethnique, à la question des minorités, au rapport à l’islam…
3.5/ Quel est le sens d’une association d’intellectuels chrétiens ?
Faut-il une association pour les intellectuels chrétiens ? Ne peuvent-il pas frayer individuellement et trouver des lieux de ressourcement spirituel ailleurs (que ce soit dans leurs paroisses ou dans des mouvements chrétiens).
Quel sens y a-t-il, pour des universitaires, des journalistes, des écrivains, des médecins…, à adhérer à cette structure alors que leur emploi du temps est souvent saturé ? Le militantisme pour le militantisme ne semble plus nourrir ou avoir du sens individuellement. Peut-être que, pour les plus jeunes, cela peut être une occasion d’ouverture, de « networking » comme on dit aujourd’hui. Un lieu aussi d’échange intergénérationnel.
Peut-être aussi que ce genre de structure pourrait être un lieu permettant à ses membres de mieux articuler les dimensions intellectuelle et spirituelle de leur existence, un lieu aussi de dynamisation collective autour de grands projets fédérateurs permettant de dépasser l’individualisme souvent constitutif de la réalité professionnelle des universitaires
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[1] Michel de Certeau, « Prendre la parole », Études, juin-juillet 1968
[2] Dans les ateliers, ce participant, qui s’est engagé politiquement lors des dernières élections législatives a raconté qu’il avait entendu, le jour des élections, une homélie comparant l’éducation chrétienne et l’éducation musulmane pour mettre en garde les paroissiens face aux dangers de l’islam.
——– FIN DU COMPTE RENDU——-