« Au centre pastoral Saint-Merry, navigation par gros temps » Tribune signée par Guy Aurenche et Claude Plettner
Tribune publiée dans le journal La Croix le 3 mars 2021.
Elle est co-signée par Guy Aurenche (membre de Confrontations, avocat, ancien président de l’ACAT-France et du CCFD-Terre Solidaire) et Claude Plettner (théologienne et écrivaine).
Ce qui se passe avec l’arrêt de la mission confiée au Centre pastoral Saint-Merry dépasse de beaucoup ce clocher parisien. À preuve l’écho que suscite cet événement dans la presse et sur les réseaux sociaux. La majorité de cette communauté est consciente de sa part de responsabilité dans la crise actuelle et refuse la contestation systématique de l’institution ecclésiale. Mais cela ne doit pas cacher deux paris et enjeux majeurs de ce lieu : la corresponsabilité entre prêtres et laïcs, partenaires de son animation, et le pluralisme d’un diocèse. Il ne faudrait pas que l’arbre décapité cache encore cette forêt.
La coresponsabilité : c’est bien là que le bât blesse, ici comme ailleurs. Ce concept a besoin d’être clarifié dans l’Église. Car si Vatican II a retrouvé le sens du peuple de Dieu et du sacerdoce commun des baptisés, si Lumen Gentium envisage le sacerdoce commun et le ministère presbytéral comme deux participations différentes de l’unique sacerdoce du Christ, s’il tient qu’il n’y a pas deux sacerdoces mais un seul auquel laïcs et prêtres ont part de manière différente, il n’a pas dit comment mettre en œuvre cette articulation. Dans l’attente d’une théologie et d’un droit qui en rendent compte, les laïcs restent des sous-clercs. D’où les difficultés pour mettre en œuvre la coresponsabilité sur le terrain.
D’où aussi la navigation inconfortable entre deux écueils : le cléricalisme et son retour en force quand certains « re-sacerdolisent » la prêtrise dans un réflexe de repli identitaire. Revoilà les « hommes du sacré ». Le profil de certains prêtres, typés sociologiquement, à la formation trop uniforme, et peu enclins au dialogue avec une société sécularisée, n’est pas sans poser question.
Et danger inverse : le laïcalisme qui écarte le prêtre sous prétexte que « nous les laïcs nous pouvons le faire. » Or, sortir du cléricalisme n’est pas se débarrasser du ministère ordonné et de ce qu’il symbolise dans une communauté : le lien avec ce qui la précède, la déborde et la convoque. Même si l’évolution des modalités de ce ministère sont plus que souhaitables. Et si le curé, seul autorisé par l’actuel Droit canon à décider in fine de la gouvernance de l’Église locale, se passe de la nécessaire concertation et de la difficile élaboration commune.
Pour autant pas d’angélisme : la coresponsabilité n’est pas l’autogestion sans autorité. Pas de collaboration possible sans reconnaissance des différences de statuts et de responsabilités. Faute de bien comprendre les spécificités des ministères, on s’épuise dans des combats stériles. Avec le Centre pastoral, il y allait de cette difficile mise en œuvre de nouvelles formes de gouvernance, d’organisation et de célébration.
Il y allait aussi de l’inculturation du catholicisme à la société, de la diversité des visages d’Église, de l’ouverture à ceux qui en sont éloignés. Pari urgent au moment où le modèle paroissial rassemblant des pratiquants et des pasteurs de moins en moins nombreux montre de sérieux signes de faiblesse. À côté de l’organisation actuelle des paroisses qui convient à bon nombre de catholiques, – et pourquoi pas ? – d’autres désirent d’autres formes de rassemblement, de célébration, de présence à la société. Le moins qu’on puisse dire est que ceux-là ne savent plus trop où aller.
Si sortie de crise il y a à Saint-Merry, ce ne pourra être que sur la base de la loyauté des laïcs vis-à-vis de l’institution et de l’acceptation du dialogue de la part de ses responsables. Le tout dans des responsabilités partagées clairement redéfinies. Rêve impossible ou chance d’une refondation ?
Claude Plettner, théologienne, écrivaine. (Membre du CPHB)
Guy Aurenche, membre de Confrontations, avocat.