Compte rendu de la journée de réflexion du 5 décembre 2015
Dans la suite de notre réflexion sur « Communication et Eglise »
et à partir des travaux de Richard Amalvy
Et si l’image de l’Église n’était pas qu’une question de communication, de quoi parlerai-t-on ? Ayant conduit des travaux similaires dans des organisations internationales, Richard Amalvy aide à déceler les pratiques et les comportements institutionnels qui influent sur l’image d’une organisation comme l’Église catholique.
Ce qui fait le succès planétaire du pape François au-delà de la « cathosphère », c’est sans doute la perception de la cohérence entre le message qu’il diffuse et les gestes et les comportements qui sont les siens.
Des interventions croisées avec Hervé Legrand, ecclésiologue œcuméniste, permettront de donner un éclairage théologique sur la question posée.
Autour de cette question, « Comment le pape François change-t-il le visage de l’Église ? », la journée du 5 décembre a permis d’identifier et de comprendre ce qui constitue l’image de l’Église en tant qu’institution. Un travail en atelier a donné aux participants l’occasion d’exprimer ce en quoi chacun se sent concerné comme membre ou non de l’Église catholique.
En introduction aux ateliers qui ont occupé l’après midi de cette journée de réflexion, Hervé Legrand, dominicain, ecclésiologue et œcuméniste, a proposé un éclairage théologique sur la question posée. Richard Amalvy, consultant en stratégie, a aidé à analyser les pratiques et les comportements institutionnels qui influent sur l’image d’une organisation comme l’Église catholique montrant que ce qui fait le succès planétaire du pape François.
Hervé Legrand : Les objectifs du pape François et la transformation de l’image de l’Eglise.
Que le pape François vienne du bout du monde a surpris et très vite changé la perception que l’on avait du pape et même de l’Eglise, sans doute plus chez les non pratiquants et même les non catholiques que chez les catholiques pratiquants. François s’est autorisé un droit d’inventaire dans l’œuvre de ses prédécesseurs. Sa proposition de consultation du peuple de Dieu en vue du synode sur la famille a provoqué la perplexité de plus d’un évêque, habitué à recevoir des instructions de Rome et non à consulter le peuple des fidèles sur les questions difficiles. Il est manifeste que François entend promouvoir une autre type de relations dans l’Eglise : pour lui, la collégialité épiscopale est inséparable de la synodalité des Eglises locales : nous disons dans le credo (depuis le 4e siècle) que c’est l’Eglise qui est « une, sainte, catholique … et apostolique » et non seulement les évêques et le pape, successeurs des apôtres.
Ce que François engage, ce n’est pas d’abord une réforme de la curie (absolument nécessaire) mais bien une réforme de la papauté avec comme objectif fondamental de remettre l’Evangile au centre de la vie de l’Eglise et non pas l’institution historique (si indispensable soit-elle). Tous ses gestes, depuis la demande aux fidèles sur la Place Saint-Pierre de prier pour lui avant donner sa bénédiction juste après son élection (comme « évêque de Rome » précise-t-il et non comme « pape »), son logement à Sainte-Marthe, ses chaussures noires usagées, sa voiture d’occasion etc. vont dans ce sens. Il signifie par des gestes qu’il n’abusera pas de son ministère d’évêque de Rome ; il ne multiplie pas les documents (on en a déjà beaucoup) ; il parle plus de la grâce et de la miséricorde que de la loi, de la parole de Dieu que de l’Église.
On peut dire qu’avec lui, l’Église sort de l’ère constantinienne ouverte en 313 par l’Edit de Milan, un régime dans lequel les Etats chrétiens donneraient valeur légale aux lois de l’Eglise. On en serait sorti symboliquement en 2013 avec l’élection de ce pape venu d’ailleurs que des pays de l’empire romain prolongé dans l’Empire et l’Eglise médiévaux et modernes. Ce qui exige de « secouer la poussière impériale » et d’adopter de nouvelles manières d’être.
Choisir le nom de François en fait partie. Quitter le palais et renoncer aux titres princiers aussi. Mais cela va plus loin. Ses origines (et sa théologie) font que François cesse de mettre en avant des demandes à l’égard des autorités civiles de légiférer selon les normes de l’Eglise. Il sort de l’attitude d’affrontement culturel (« France qu’as-tu fait de ton baptême » ou « Europe qu’as-tu fait de ton héritage de foi ? ») qui pose l’Église en forteresse de foi de toutes les batailles perdues dans les sociétés démocratiques contemporaines (divorce, avortement, mariage pour tous … ) Il ne pose pas qu’il y a des principes fondamentaux dont l’Eglise serait la garante, avec lesquels on ne peut transiger (sinon aucun chrétien ne pourrait être parlementaire dans une un démocratie) : il s’adresse aux citoyens où ils sont, pour les confronter à l’Evangile. L’Evangile n’est pas une loi qui doit s’imposer à tous mais une grâce proposée aux citoyens de notre temps. François se rend à Lampedusa, en Albanie et même à Strasbourg : il n’y parle pas d’abord de la Loi mais d’un « hôpital de campagne » au service des blessés.
Remettre l’Évangile au centre vient heurter bien des pratiques dont certaines sont entérinées dans le code droit canonique (1917 et 1983) souvent plus marqué par le Code Napoléon (droit positiviste) que par l’Evangile. Il conviendrait de sortir des autoréférences caractéristiques de la Curie romaine, plus soucieuse de contrôler les églises locales que de les soutenir. L’évêque diocésain est perçu comme un vicaire général par la curie (et par certains d’entre eux aussi). En pratique – un américain du Sud est bien placé pour le savoir – les problèmes des églises locale ne peuvent être raisonnablement traités au centre (à Rome) : la place des femmes dans la société n’est pas la même à New-York et à Peshawar et les experts romains capables de valider les traductions de la Bible en Tamoul sont rares …
Mais cela pose la question de fond qui est celle de la communion de l’Église catholique. Dans la perspective actuelle, elle est purement hiérarchique avec à sa tête le pape. Un curé n’a pas de comptes à rendre aux fidèles, un évêque non plus. A cela, une réforme seulement administrative de la curie qui conserverait ses pouvoirs actuels ne changerait rien. L’enjeu principal est l’articulation entre les églises locales qui doivent redevenir sujet de droit (ce qu’elles ne sont pas dans le code actuel) en communion avec les autres églises. L’Église n’est pas « universelle » car cette notion a quelque chose de nivelant. Elle est « catholique », c’est à dire articulant la diversité des églises locales et l’unité de la communion dont l’évêque de Rome est le garant. Ce garant est bien dans l’Eglise et pas au-dessus d’elle : François a demandé au peuple de Rome de prier pour lui avant de donner sa bénédiction. Toutes les structures actuelles (conseils pastoraux, synode diocésains etc.) doivent être activées dans cette perspective de communion. Les membres du peuple de Dieu doivent redevenir sujets de droit.
Le paradoxe est que le pape François est amené à user de son absolutisme pour mettre fin à l’absolutisme romain et redonner sa place au peuple de Dieu, mettant de fait en pratique ce qui était déjà largement dans Lumen Gentium (Vatican II) et que la pratique soutenue par le droit a largement occulté depuis cinquante ans. Et c’est sur lui que les media concentrent l’attention, désormais généralement avec sympathie. Mais le peuple de Dieu n’est pas très médiatique. Alors, faut-il compter sur le pape pour attirer l’attention sur lui ? Autre paradoxe qui pose la question du quatrième pouvoir.
Richard Amalvy :
Cette intervention était fondée sur un riche matériel de schémas et d’images dont il n’est pas possible de rendre compte. Richard a proposé d’adapter à l’Eglise catholique d’aujourd’hui la méthode dite du « Branding » par laquelle on s’intéresse à l’expérience qu’une marque fait vivre dans sa communication , au-delà du marketing, dans un imaginaire où elle embarque le consommateur. Ce qui peut paraître bien impertinent appliqué à l’Eglise catholique mais s’est révélé utile pour la réflexion que nous menons.
Des différentes approches on peut retenir, il s’avère que l’image positive du pape François dans les media et dans l’opinion vient de la cohérence entre ce qu’il montre, ce qu’il dit et ce qu’il fait. Ce qu’il montre : ses chaussures, son cartable. Ce qu’il dit : des expressions qui parlent à tous (et donnent des bons titres de presse) d’où émerge massivement le mot « miséricorde » mais aussi « tyrannie des marchés ». On peut ajouter ce qu’il écrit avec Laudato si, cité partout et lecture d’un personnage du feuilleton populaire « Plus belle la vie » (France 3). Ce qu’il fait : lavement des pieds des prisonniers, Lampedusa, Albanie.
Télécharger l’intervention de Richard Amalvy
(Notes de Véronique et Michel Sot)