« Du fanatisme : quand la religion est malade », critique de Guy Coq
Guy COQ nous partage son avis sur un essai d’Adrien Candiard.
La nouveauté de l’approche du fanatisme qu’il propose est dite dans le sous-titre : « quand la religion est malade ». Et si le djihadisme est remarquablement dévoilé, ce fanatisme peut frapper les autres grandes religions. D’emblée, on se sent hélas dans l’actualité. L’ouvrage s’ouvre sur le récit d’un crime de fanatique qui nous renvoie en Ecosse il y a quelques années. La veille de Pâques, un épicier d’origine pakistanaise écrit sur son compte Facebook « Joyeuses Pâques à mes chers concitoyens chrétiens ! ». Quelques heures plus tard cet homme « est tué, poignardé par un autre musulman qui a vu dans ce message un acte d’apostasie qui mérite la mort ». (Adrien Candiard)
Or cette histoire d’œufs de Pâques renvoie à un théologien du XIVème siècle, Ibn Taymiyya, qui fut questionné sur le point suivant : « Que convient-il de penser des musulmans qui participent avec des chrétiens aux réjouissances qui entourent le jour de Pâques ? ». La réponse du théologien est formelle : ces musulmans doivent être rappelés à l’ordre et s’ils persistent, ils méritent la mort. La condamnation portée par le théologien est une opinion juridique fondée sur une école théologique, fondée au IXème siècle par Ibn Hanbal, un imam iranien. Ce que montre avec force Adrien Candiard, c’est que les actes de barbarie qui nous accablent ne sont pas des gestes de folie accomplis par des individus désaxés. Ils sont fondés sur une véritable théologie. Celle-ci est une maladie qui aujourd’hui frappe l’islam. Mais cette théologie qui, sur une longue période historique était très minoritaire dans l’islam, s’est réveillée il y a moins d’un siècle avec notamment la naissance du salafisme, et tente de l’imposer à l’ensemble des musulmans.
Cette analyse mettant au premier plan une théologie parmi d’autres, situe le djihadisme comme dénué de toute légitimité à se présenter comme l’islam véritable, et c’est l’histoire même de la théologie musulmane qui fonde cette analyse.
Ainsi, pour Adrien Candiard, il faut cesser de voir dans le djihadisme uniquement des causes sociales, historiques, ou politiques. En fait, il faut traiter le djihadisme comme un fait religieux, la forme actuelle du fanatisme qui est une menace pour toutes les religions. Il faut cesser de voir dans les djihadistes de simples paumés ou des cyniques. Car une opération de l’ampleur de l’Etat islamique n’a pas pu être menée par quelques fanatiques manipulés : « il faut aussi des croyants, des gens qui voient le monde d’une certaine façon, qui leur paraît cohérent et rationnel, qui leur paraît adéquat au réel et qui n’est pas un simple délire collectif » (p. 29). Le théologien dont s’inspire Ibn Taymiyya pose une absolue transcendance de Dieu, une impassible connaissance car «Dieu ne révèle pas qui il est… ».
Ce qu’il révèle c’est sa volonté : « On ne sait pas qui est Dieu mais on sait ce qu’il veut (p. 33) ». Cette formule est lourde de conséquences : « Puisque de Dieu on ne connaît que la volonté et non la nature, alors être musulman c’est agir comme un musulman, c’est faire ce qu’un musulman est tenu de faire. Par conséquent, faire comme les chrétiens, fut-ce des pratiques tout à fait secondaires (un repas de fête, des œufs colorés), c’est être chrétien ». (p. 35). C’est tomber dans l’apostasie et mériter la mort.
Impossible de résumer en quelques lignes la clarté des pages ou A. Candiard compare les positions théologiques profondément différentes des djihadistes musulmans et des chrétiens. Une conclusion importante ressort également des profondes réflexions de l’auteur : c’est que ce ne sont pas les religions en elles-mêmes qui sont porteuses des fanatismes, musulmans ou chrétiens.
Tous les fanatismes ont entre eux quelques points communs, et en particulier, ils mettent Dieu à l’écart. Dire cela, reconnaît l’auteur, c’est prendre une position contre-intuitive, car l’idée communément répandue consiste à penser que le fanatisme venait d’un excès dans l’engagement du croyant… qui verrait Dieu partout, qui prendrait sa religion trop au sérieux. Cette analyse a sa source au XVIIIème siècle dans la philosophie des Lumières, notamment de Voltaire.
Or Adrien Candiard entreprend de démontrer le contraire : « Le fanatisme n’est pas la conséquence d’un excès d’une présence excessive de Dieu mais au contraire la marque de son absence » (p. 48). Au passage sont critiqués ceux qui, pour se protéger des excès, voudraient « des musulmans modérés ».
En parlant ainsi, on donne raison, aux violents qui clament qu’ils sont les seuls vrais croyants. L’auteur, Frère dominicain, note au passage : « je ne suis pas un chrétien modéré » et de citer des exemples. Ainsi François d’Assise, fut un chrétien radical mais… pas du tout fanatique…
Parmi les pistes de réflexions que propose cet essai, il faudrait examiner la relation forte, significative, qu’il relève entre fanatisme et idolâtrie. C’est que, note-t-il, quand le fanatisme crée le vide à la place de Dieu, il est exposé à ce que Dieu soit remplacé par l’idole. C’est un vide rempli par quelque chose qui ressemble à Dieu mais qui n’est pas Dieu. Dans la théologie de Hanbal (hanbalisme), l’idole ce sont des commandements censés être loi divine. Dieu est remplacé « par des objets qui le touchent de près », d’où une possible confusion. Le regard théologique d’Adrien Candiard sur l’idole est très éclairant et nous interpelle directement, nous les catholiques. L’erreur des Lumières, écrit l’auteur, est qu’ils ont confondu la folie fanatique avec un excès de religion. Ils croyaient que le fanatisme devait être soigné par le développement de la raison, par l’éloignement de la religion. Au bout de plus de deux siècles, l’éducation et la sécularisation n’ont nullement eu raison du fanatisme.
La thèse très éclairante d’Adrien Candiard est que la critique du djihadisme et du fanatisme, qui sont des maladies de la vie spirituelle, doit être menée sur le sens même des religions.
C’est le sens spirituel de l’enfermement fanatique qui est refus de la spiritualité, de la relation à Dieu, de l’amour personnel de Dieu. Le sens spirituel du fanatisme « nous oblige à envisager que parfois la solution des problèmes religieux puisse être également religieuse ».
Guy COQ