La question religieuse à l’école
Quelle place occupe et devrait occuper la question religieuse à l’école ? Découvrez la réponse de Guy Coq à cette question dans la tribune qu’il publie en cette rentrée scolaire marquée par une minute de silence en l’honneur de Samuel Paty.
La réaffirmation actuelle des valeurs républicaines et de la laïcité est d’une absolue nécessité. Leur mise en pratique ne souffre aucune exception. La notion de blasphème n’a aucune signification acceptable dans notre droit. Il faut donc réaffirmer la liberté de publier et republier les caricatures du Prophète. Et cette liberté concerne toutes les religions, toutes les spiritualités.
Cependant une question difficile refait surface, notamment dans le rôle de l’éducation et de l’école dans la lutte contre le fanatisme : que faire de la souffrance d’un croyant devant une caricature qui le blesse profondément ? Derrière les religions, il y a des personnes humaines. Les messages que nous nous envoyons les unes aux autres peuvent être blessants, être vécus comme manque de respect.
Or dans la tragédie qui nous atteint, le professeur Samuel Paty trace lui-même d’avance une ligne éthique remarquable et profondément laïque : ces caricatures, on a le droit de les publier et ceux qui tuent pour dissuader de le faire, sont condamnables et commettent l’horreur et l’inacceptable. Mais par ailleurs il reconnaît que les images peuvent blesser des croyants. À ces élèves musulmans il n’est pas juste de leur imposer la vue de ces images qui manquent de respect pour le Prophète, du moins ainsi peuvent-elles être perçues intimement.
Les élèves peuvent se sentir blessés, ils ont le droit d’exprimer leur désaccord. Mais ils doivent s’en tenir à Voltaire qui déclare en substance : je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites mais je me battrai pour vous garantir la liberté de le dire. Ils doivent comprendre leur liberté de s’exprimer comme conditionnée par leur consentement au débat, à la libre expression des divergences, au respect vis à vis de l’opposant, et au refus de contraindre éventuellement par la violence l’élimination de l’opposant.
Il importe que le jeune séduit par le djihadisme puisse exprimer pleinement sa liberté de penser, au lieu de se murer dans un silence contraint. Car alors, la liberté républicaine serait blessée par là même où l’on prétendait la défendre. Faut-il insister ? On peut être un bon républicain et désapprouver le message des caricatures. L’enjeu est d’admettre le principe républicain de la liberté d’expression aussi bien pour ceux qui approuvent les caricatures que pour ceux qui les réprouvent. Ces derniers, il serait néfaste de les classer globalement comme atteints de sympathies djihadistes. Mais il faut surtout leur donner le droit à la libre parole.
Celle-ci, dans l’école, est liée à la pratique du débat. Celui-ci soulève d’emblée une grave question : la laïcité exclut-elle l’approche de problèmes liés aux religions ?
Notons ce fait : qu’on le veuille ou non, la religion est présente dans les cours, et ceci, pour l’instant dans des conditions exécrables, car c’est sous la forme d’une religion pervertie, un fanatisme dans lequel ne se reconnaissent pas les représentants des religions.
L’urgence est de rendre possible, dans le débat scolaire, un dialogue des croyances religieuses. L’interrogation sur le spirituel est présente à la conscience des jeunes scolarisés. Il est bien triste de ne parler, dans l’école, de la religion que lorsque des tragédies interpellent violemment l’espace social. Il faut, certes, la minute de silence. Mais il faut surtout restaurer l’espace scolaire de la libre parole.
En fait, la minute de silence toute seule, ne compensera pas durablement l’incapacité de l’école laïque et républicaine à intégrer dans sa culture toutes les questions posées par l’existence des religions. Il faut enfin le dire : parler de « fait religieux » est devenu insuffisant. Protéger les enfants du fanatisme de la perversion du religieux est un travail nécessaire. Mais on ne pourra le faire que dans le cadre d’une réflexion sur le sens, la grandeur, la perversion possibles des diverses religions.
Rappelons que la laïcité n’a jamais interdit qu’il soit question à l’école de l’importance culturelle des religions pour la civilisation. L’urgence est, enfin, de retrouver ce minimum de morale commune sans laquelle la société explose.
Guy Coq