Le rapport de la Ciase et les travaux de Confrontations
Depuis des années, un malaise s’était installé dans l’Église à la suite de nombreuses révélations, de procès à répétition, de mise à l’écart de responsables restés silencieux devant les innombrables abus sexuels perpétrés en son sein par des clercs.
À l’issue de deux ans et demi d’enquête, le rapport de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église catholique) a dressé un état des lieux accablant. La surprise est d’abord venue de l’estimation de l’ampleur du phénomène : 216 000 victimes mineures agressées sexuellement par des membres du clergé depuis 1950. Un phénomène « massif » et probablement sous-évalué qui a une dimension « systémique ».
Face à ces crimes, la question de l’écoute et de la réparation due aux victimes est devenue centrale. La Conférence des Évêques de France s’en est saisie. Mais se posait aussitôt cette interrogation incontournable : qu’est- ce qui dans le fonctionnement, l’organisation et les discours de l’Église a pu les encourager ? La Ciase présente ses recommandations mais c’est à l’Église toute entière de se réformer.
Pour alimenter ces réflexions, les travaux de Confrontations (association d’intellectuels chrétiens) sur la crise dans l’Église, engagés depuis trois ans, ont posé des jalons. Ils croisent sur beaucoup de points les conclusions du rapport Sauvé.
Sur une dérive du cléricalisme (novembre 2018)
Hervé Legrand, dominicain, professeur honoraire à l’Institut catholique de Paris, (ecclésiologie et œcuménisme), , vice-président de l’Académie internationale des sciences religieuses, vice-président de Confrontations
Yann Raison du Cleuziou, maître de conférences en science politique à l’université de Bordeaux, auteur de Qui sont les catholiques aujourd’hui ? (Desclée de Brouwer) réalisé avec Confrontations.
L’enseignement courant (catéchismes et magistère) ainsi que le droit en vigueur induisent un cléricalisme indu (des supériorités non fondées) qui a pour effet de faciliter les abus, et de conduire ordinairement à la protection des délinquants par les autorités. Celles-ci entourent ces affaires de tout le silence possible, évitent le recours à la justice civile, et ne se soucient pas des victimes, ignorées dans les procès canoniques.
Sur les abus sexuels dans le clergé (décembre 2018)
Olivier Savignac, musicien, a été victime d’abus dans sa jeunesse. Il participe à cette réflexion et a témoigné devant les évêques réunis à Lourdes en novembre.
Véronique Margron, prieure provinciale de France des Sœurs de Charité Dominicaines de la Présentation et présidente de la Conférence des religieuses et religieux en France.
Olivier Savignac a été victime d’abus de la part d’un prêtre durant son adolescence. Son témoignage montrait que toute la réflexion chrétienne doit partir de ce que les victimes ont enduré. Des réformes s’imposent. Olivier Savignac a participé à la réflexion de la Conférence épiscopale sur ces points.
Sur la justice de notre pays face aux abus sexuel (janvier 2019)
Olivier Échappé, docteur en droit canonique, professeur associé à la faculté de droit canonique de l’Institut catholique de Paris. Conseiller doyen à la 3e chambre civile de la cour de cassation,
Luc-Michel Nivose, conseiller à la Cour de cassation, ancien président de la Cour d’assise de Paris.
Ces deux magistrats ont traité en détail les qualifications juridiques des délits sexuels qui peuvent être commis aussi dans le cadre ecclésial.
Un cycle entier intitulé : « Masculin et féminin dans la société et dans l’Église : recompositions en cours »
– Le christianisme et les femmes : approches de théologiennes (février 2019)
Anne-Marie Pelletier, professeure émérite des universités, exégète.
Anne Soupa, essayiste, cofondatrice du Comité de la jupe et de Conférence catholique des baptisé.e.s francophones (CCBF).
– Masculin et féminin dans la société #me-too (mars 2019)
Nicole Mosconi, philosophe, professeur émérite de sciences de l’éducation à l’université de Paris-Nanterre.
Pierre Lénel, sociologue, Directeur de recherche au CNRS, CNAM-Lise (Laboratoire interdisciplinaires pour la sociologie économique).
– Femmes et hommes dans l’Église aujourd’hui : responsabilités et ordination (avril 2019)
Céline Béraud, sociologue, directrice d’études à l’EHESS (chaire Genre et religion).
L’étude sociologique de la vie paroissiale montre que sans les femmes, elle s’effondrerait. Plus largement, on constate que la responsabilité de nombreuses aumôneries sont confiées dans des contextes où l’État ne distingue pas entre hommes et femmes, par ex. dans les prisons et l’armée. Les pratiques ont considérablement changé, même si doctrine reste la même jusqu’ici.
Hervé Legrand, théologien, professeur honoraire à l’Institut catholique de Paris, vice-président de Confrontations
L’ordination des chrétiennes est restée impensable tant que les femmes n’avaient pas accédé à la vie publique. L’Église primitive a conçu ses ministères dans les cadres sociaux interdisant aux femmes la parole publique et l’autorité sociale. Jean-Paul II a déclaré la question définitivement close ; mais à un même niveau d’autorité un autre pape pourrait la rouvrir. Cette ordination n’est pas une question féministe. Si l’on disait oui, ce serait à partir des besoins de l’Église et de son discernement sur les personnes.
Un cycle entier intitulé : Quelle Église pour demain ?
– Évangile et pouvoirs (février 2020)
Marie-Jo Thiel, professeure de théologie morale à l’université de Strasbourg
La crise du pouvoir de l’Église peut s’analyser en faisant appel à l’histoire et à l’éthique. Devenu très tôt excessif en privilégiant le ‘pouvoir sur’ par rapport au ‘pouvoir avec’, il a abouti à la collusion des pouvoirs ecclésiaux et politiques et à l’accumulation de tous les pouvoirs – enseignement, sanctification et gouvernement – entre les mains des clercs, maintenant les laïcs dans une dissymétrie totale et permettant les abus. Or l’Évangile est une instance critique face à tout pouvoir. Les corrections à ces dérives ont commencé avec le concile Vatican II puis avec le pape François, qui a remis l’accent sur la notion de peuple de Dieu. Car, sur le fondement de leur baptême, chrétiens et chrétiennes, peuvent être appelés à tous les ministères. Et l’exigence du pouvoir se vérifie à l’aune du service aux plus petits.
Dominique Collin, dominicain de Liège, philosophe et théologien
Dominique Collin s’arrête sur la crise de crédibilité de l’Église. Il dresse le constat de la mort de la chrétienté, où se sont homogénéisés pouvoir spirituel et pouvoir temporel. Au lieu de « contaminer » le monde, l’Église a été contaminée par lui, par sa suffisance. L’autre n’a pas sa place dans la suffisance. La crise actuelle est au fond aussi une « crise de foi », une crise de la chrétienté insignifiante. Or la « bonne nouvelle » doit d’abord être une nouvelle bonne pour moi. Il faut donc inventer un christianisme qui ne soit pas de chrétienté : une « christianité », un art d’être Christ les uns pour les autres et pour le monde.
– Sacralisation et gouvernance (mars 2020)
Anne Soupa, Théologienne et bibliste, cofondatrice de la conférence des baptisés de France 3
Sous la pression d’une demande sociale de sacré, l’Église s’est récemment resacralisée, via la sacralisation du ministère ordonné et de la masculinité du prêtre. Mais la sacralisation n’est qu’une béquille qui masque un mauvais service. Si la gouvernance fonctionne, il n’y a pas besoin de sacralité. Cette resacralisation de la figure du prêtre s’est faite en grande partie en réaction à l’émancipation des femmes. C’est pourquoi la question de la place des femmes est centrale.
Guillaume Nicolas, délégué général de la DCC (Délégation catholique pour la coopération)
Hors du maillage territorial diocésain, des organisations catholiques comme la DCC portent toute une part de la vie de l’Église. Face à l’ampleur des dérives mises à jour, elles se sont retrouvées, après la lecture de la Lettre au peuple de Dieu, pour un échange de bonnes pratiques visant à une meilleure gouvernance et à une forte coopération entre clercs et laïcs. C’est la raison d’être de « Promesses d’Église », un collectif qui rassemble près de 40 associations. Le tout dans le but d’influer sur la gouvernance de l’Église et de travailler à sa décléricalisation.
– Sexualité, quelle parole en Eglise ? (avril 2020)
Monique Hébrard4, journaliste, écrivaine et conférencière
Depuis l’après-guerre, il y a eu quatre ratages de la parole ou de l’absence de parole de l’Église : le refus de la contraception avec Humanae Vitae en 1968. Le dossier des divorcés remariés dans les années 60. L’opposition à la Loi Veil en 1975 et enfin le non au mariage pour tous. aujourd’hui ? Après tant de souffrances et de condamnations, l’Église peut-elle encore être crédible ? Oui, à condition d’emprunter trois pistes : Libérer la Parole du carcan doctrinal. Prendre en compte les bouleversements de l’anthropologie et enfin, dans un régime de laïcité, reconnaître la primauté de la conscience.
Jean-Pierre Rosa, écrivain, bibliste et membre de Confrontations,
Comme, en matière de sexualité, le divorce est consommé entre les fidèles et la hiérarchie, le recours à l’Écriture est fondamental. La Bible présente la sexualité comme une puissance ambivalente. Au-delà de ses archaïsmes, elle met en avant l’interdit de la dévoration de l’autre, insiste sur l’Alliance, propose la différence comme lieu de la ressemblance à Dieu, appelant ainsi à une fraternisation qui n’est jamais finie. Marquée par une mentalité patriarcale, androcentrée et dissymétrique la Bible n’enferme pourtant pas dans un cadre. Bien au contraire : en nous contraignant à l’interprétation, elle nous invite au débat, à l’échange, au partage.
Le chemin synodal de l’Église d’Allemagne (mercredi 17 mars 2021, en visio, disponible sur le site de Confrontations)
Michael Quisinsky, Professeur de théologie systématique à l’Université de Fribourg
Hervé Legrand, théologien, professeur honoraire à l’Institut catholique de Paris, vice-président de Confrontations
Cette séance a attiré plus d’une centaine de personnes pour réfléchir sur les quatre thèmes dont traite le Chemin synodal allemand (réunissant évêques et laïcs). Ce sont aussi les quatre thèmes qui ont parcouru les rencontres de Confrontations : une gouvernance synodale de l’Église, une reconsidération du statut des prêtres, une juste place à faire aux femmes et la révision des discours sur la sexualité. C’était en même temps une introduction très documentée et vivante à un processus synodal, grâce au Power Point.
Pour aller plus loin :
Marie-Jo Thiel, L’Eglise face aux abus sexuels sur mineurs, Paris, Bayard, 2019
Dominique Collin, Le christianisme n’existe pas encore, Paris, Salvator, 2018 et L’inouï de l’Evangile, Paris, Salvator, 2019
Anne Soupa, Pour l’amour de Dieu, Paris, Albin Michel, 2021 ; Douze femmes dans la vie de Jésus, Paris, Salvator, 2014 ; Consoler les catholiques, Paris, Salvator, 2019.
Monique Hébrard, Pour une Eglise au visage d’Evangile, Fidélité, 2014 ; Conversation sur l’au-delà (avec Pierre Longeat), Salvator, 2020
Jean-Pierre Rosa, La Bible, le sexe et nous, Paris, Salvator, 2019