Mercredi 15 juin : Les églises orthodoxes à l’heure de la guerre en Ukraine

La guerre en Ukraine attire notre attention sur la forte implication politique et nationale des Eglises orthodoxes. Les prises de position pro-Poutine du patriarche de Moscou, Kirill, en soutien à l’intervention russe en Ukraine nous ont indignés. Confrontations voudrait essayer de mieux comprendre cette alliance « du trône et de l’autel »,  ses implications dans le monde russe, dans le conflit avec l’Ukraine et dans l’orthodoxie en général.

Étaient invités :

  • Kathy Rousselet, Directrice de recherche à Sciences Po, spécialiste des questions religieuses en Russie.
  • Christophe d’Aloisio, Directeur de l’Institut de théologie orthodoxe de Bruxelles.

La rencontre a eu lieu à 19h, chez les Dominicains : 45 rue de Glacière 75013 Paris (salle Christophe Dumont)

Quelques notes à la suite de leurs interventions (par Michel Sot)

Kathy Rousselet a insisté sur le fait que l’Église russe d’aujourd’hui est marquée par son histoire soviétique. Le patriarche Kiril, comme Vladimir Poutine, considère la fin de l’URSS comme une catastrophe pour la Russie. L’Église n’est pas plus indépendante du pouvoir politique qu’elle ne l’était du temps du communisme parce qu’elle est fondamentalement patriote et dans l’esprit de Kiril, son territoire canonique correspond à l’ancienne URSS, comme « le monde russe » dans l’esprit de Poutine. Pour eux, l’Ukraine en fait évidemment partie. Poutine est resté prudent à l’égard de la religion jusqu’en 2008 mais il l’a depuis remise, avec son consentement, au service de l’état : beaucoup de biens publics ont été transférés à l’Église qui est maintenant le premier propriétaire foncier de Russie et le maître du Kremlin joue à fond du patriotisme religieux traditionnel : la guerre en Ukraine est une guerre juste pour la défense de la Russie attaquée par l’Occident (l’OTAN, l’Union européenne, les Nazis). Il exploite une rhétorique ultra conservatrice en matière sociétale (défense de la famille, d’une sexualité « conforme » contre les gays et d’un façon générale les dévoiements de l’Occident contre lequel la Russie sauve, par la guerre, les valeurs religieuses traditionnelles.

Christophe D’Aloisio a montré que les églises suivent les autorités politiques et que les églises nationales correspondent aux états nations. Mais actuellement se développe une idéologie plutôt ethniciste que nationale : la Rus’ serait autant présente en Fédération de Russie qu’en Ukraine ou en Moldavie, ce qui est politiquement très opportun.

Dans l’Église orthodoxe, on n’a pas eu d’expérience de délibérations (synodales ou conciliaires) entre les patriarcats de Constantinople et de Moscou avant le XXe s. et c’est dans l’épreuve du communisme que s’est engagé un dialogue : si bien tout ce qui avait pu être fait a été renié à la fin de l’URSS. Avant le XXe s. aussi, les patriarches de Constantinople ne se sont guère soucié du patriarcat de Moscou, jusqu’à ce que les orthodoxes de Turquie soient expulsés, les laissant sans fidèles : ils ont alors cherché à s’imposer partout ailleurs et la tension avec Moscou s’est accrue. Depuis quarante ans, un grand concile panorthodoxe est en projet. Il devait se tenir en Crète en 2016 mais Moscou n’est pas venu. En 2018 le patriarche de Constantinople Bartholomée annonce que l’église d’Ukraine est autocéphale, c’est-à-dire autonome (mais reconnue par lui) et ne relève donc plus du patriarcat de Moscou. C’est évidemment insupportable pour l’église russe, d’autant plus que la majorité des paroisses relevant du patriarche de Moscou sont en Ukraine. Dans ces conflits, on ne réfléchit pas à partir des églises locales mais ces dernières suivent généralement les autorités politiques.