« Une nouvelle page pour notre Église ? » – Table ronde du 24 janvier 2015
« Les réformes engagées par le pape François,
une nouvelle page pour notre Eglise ? »
Journée de réflexion
suite à l’ouvrage « Qui sont les cathos aujourd’hui ? »
Samedi 24 janvier 2015
L’ouvrage « Qui sont les cathos aujourd’hui ? » (DDB 2014) a suscité de nombreux débats. Confrontations entend les approfondir en demandant à des personnalités d’horizons et d’univers différents d’intervenir.
Une première table ronde, qui présentera l’ouvrage, fera réagir différents acteurs de la vie de l’Eglise, responsables de mouvements et de paroisse.
Une seconde table ronde donnera la parole à des philosophes et à un historien qui exposeront leurs perceptions du catholicisme aujourd’hui.
Le pape François, élu il y a moins de deux ans, le 13 mars 2013, bouscule les catholiques et au-delà. Une troisième table ronde, composée de théologiens, explorera les ressources dont nous disposons pour comprendre et soutenir les réformes engagées.
Programme : Invitation et programme 24 janvier
Ci-dessous les notes de Michel Sot
Première table-ronde
Présentation de l’ouvrage : Qui sont les cathos aujourd’hui (DDB, 2014)
Geneviève Dahan-Seltzer et Yann Raison du Cleuziou
L’enquête qui est au fondement du livre a été achevée avant le 13 mars 2013, l’élection du pape François. Elle a été menée, non pas en sociologie pure et dure mais en « sociologie compréhensive » pour faire entendre la voix des catholiques qui apparaît souvent déformée (pour ne pas dire plus) dans les médias et l’opinion publique. Elle révèle les diversités, voire les divisions qui traversent le monde catholique, y compris celui des catholiques engagés. Cela témoigne de la richesse et de la complexité de ce monde, présenté trop souvent de façon binaire : pratiquants/non-pratiquants ; progressiste/traditionnaliste etc. Parfois vécu aussi de cette façon, et jusqu’à la crispation, comme le montre le fort malaise dans les communautés autour de la « Manif pour tous ».
Ce livre entend rendre compte de nos diversités pour essayer de mieux nous penser en tant que catholiques :
– d’abord dans ce qui est essentiel et dont on ne parle guère : notre rapport à Dieu
– ensuite dans la mise en œuvre de la foi à travers deux variables : l’altruisme et la dévotion.
Il propose douze portraits-types regroupés en quatre grandes postures de catholiques : les « conciliaires revendiqués », les « émancipés », les « inspirés » et les « observants ». Ces quatre postures ont chacune leur enracinement spirituel, mais chacune tendrait à s’opposer aux autres et à les soupçonner.
On ne se parle pas beaucoup dans l’Eglise et on manque de lieux, d’institutions, où les laïcs puissent s’exprimer, se confronter et construire ensemble une culture synodale. Les 182 entretiens réalisés par Confrontations sur lesquels repose le livre témoigne d’un intense désir de parole constructive qui n’a pas où s’exprimer efficacement.
Après la présentation du livre, plusieurs témoins sont intervenus :
Dominique Jacquemin-Mangé (Action catholique des femmes) a bien trouvé dans le livres ces catholiques français « exaspérants de contradictions ». Elle se reconnaît pour partie dans plusieurs des typologies proposées. Dans l’ouvrage, elle relève qu’il y a bien des « blessés de l’institution » et parmi eux, les femmes. Elle pose la question de notre relation à Dieu, en tant qu’homme et en tant que femme, appelés à parler en langues d’hommes et de femmes, et « à co-créer le royaume de Dieu ». Elle note le grand nombre de femmes en responsabilité dans l’Eglise. Plutôt que de revendiquer un partage du pouvoir, elle souhaite une collaboration dans la réponse à la proposition de Dieu qui est première. Elle invite aussi les femmes à ne pas attendre qu’on les sollicite, mais à avancer par elles-mêmes, à prendre des initiatives.
Yvon Savi (l’Emmanuel), dit son attachement à la communauté de louange, qu’il a découverte lorsqu’il travaillait en Chine, et à ses trois principes : adoration, compassion et évangélisation. Il se reconnaît plutôt dans les « inspirés » mais pas exclusivement. Il est extrêmement sensible à la demande de dialogue et il a déposé le livre auprès du tabernacle pour prier avec et pour ceux dont il parle.
Gilles Vermot-Desroches (Scouts et guides de France) insiste sur le fait que le mouvement qu’il préside est un mouvement d’Eglise en forte expansion (+7% en 2014) qui propose l’aventure de la foi ; un mouvement d’évangélisation, en particulier dans des familles qui se distancient de l’Eglise. Il se situe dans le livre plutôt du côté des « émancipés » mais il participe aussi à d’autres types. Il a été sensible à l’insistance sur la nécessité de lieux de rencontres et de compromis, ce qu’il vit par exemple entre les trois mouvements scouts catholiques : ils ont une réunion tous les trois mois.
Clément Brillaud (Formation Even 3 Saint-Germain des Prés), jeune récemment baptisé, dit toutes les chances, toute la richesse et la diversité de propositions qu’il a trouvée dans une église de Paris et le contraste terrible avec ce qui peut être proposé en matière d’évangélisation à des jeunes dans certaines campagnes de France.
Tous les témoins sont optimistes quand ils parlent du catholicisme aujourd’hui et indiquent que ce livre les a fait avancer dans la connaissance d’eux-mêmes en tant que catholiques, et dans la connaissance des autres.
Télécharger Intervention Dominique Jacquemin-Mangé
Deuxième table-ronde
Perceptions du catholicisme aujourd’hui : un historien et deux philosophes
Guillaume Cuchet, (historien et anthropologue du christianisme contemporain), revient sur le livre dont il salue la description précise, la base documentaire et les conclusions prudentes, mais il invite à réintroduire du quantitatif dans cette « sociologie compréhensive ». Pour la première fois en 2014, le médias se sont mis à parler (à propos de la « Manif pour tous ») de « la communauté catholique » comme on parle traditionnellement de « la communauté juive », c’est à dire d’une minorité. Les chiffres ne disent pas tout mais il faut en tenir compte.
Jean-Marc Ferry (philosophe) note que le pape François purifie la religion : il a décentré l’Eglise d’elle-même et affirmé la primauté de l’Evangile sur la doctrine. J.-M. F. pense que l’Eglise a au moins trois atouts dans la crise contemporaine :
– une hiérarchie avec l’autorité incomparable de son chef
– une mission évangélique en phase avec les aspirations contemporaines
– une posture de pointe pour le dialogue avec les autres religions (en vue de la paix) et avec les pouvoirs publics.
Mais il y a des points de tension forts entre la loi morale et les lois civiles, entre la conviction religieuse (privée) et la raison politique (publique).
André Comte-Sponville (philosophe) se présente comme athée non-dogmatique et fidèle. « Athée non dogmatique » parce qu’il croit que Dieu n’existe pas. Mais l’athéisme, pas plus que la foi n’est un savoir. « Fidèle » parce qu’il est très attaché aux valeurs de 2000 ans de christianisme et au message des Evangiles.
Il commence par évoquer les chrétiens dans le monde. Le christianisme est la religion la plus persécutée et il ne l’a jamais été autant qu’aujourd’hui, sans qu’il y ait vraiment de protestation des catholiques. Le mariage homosexuel a suscité de grandes manifestations, pas la persécution. Pourquoi ? Parce qu’on ne défend que les minorités, alors que les chrétiens sont en France une (ancienne ?) majorité et que les Français sont mal à l’aise avec leur héritage chrétien. Il appelle à la défense des chrétiens persécutés, non seulement au nom de la liberté d’opinion, mais aussi parce qu’ils sont chrétiens et partagent avec nous les valeurs qui sont celles de notre civilisation. Toutes les civilisations ne se valent pas.
En France, les chrétiens sont de moins en moins nombreux ; toutes les religions régressent et l’athéisme progresse. Ils sont de plus en plus de droite, avec quelques journalistes qui tiennent des propos d’extrême gauche. A. C.-S. n’attend rien d’eux en tant que chrétiens, rien de l’Eglise et rien du Pape François.
Mais il attend tout des individus.
Troisième table-ronde
Les réformes engagées par le pape François, une nouvelle page pour notre église
Hervé Legrand, o.p., (ecclésiologue): En paroles comme en actes, le pape François promeut l’ecclésiologie de communion issue de Vatican II. Il ne dit jamais pape, toujours évêque de Rome, et par là évêque avec les autres évêques ; ce qu’il met en pratique dans les deux synodes sur la famille. Par l’envoi d’un questionnaire plutôt que d’un texte préparatoire, il instaure les évêques en interlocuteurs. C’est la collégialité ! Il leur demande de travailler les mêmes questions avec leurs diocésains, souhaitant que les curés en fassent autant avec les paroissiens. C’est la synodalité. S’il réussit ses réformes, structurelles autant que de mentalité, les catholiques trouveront ces espaces de débats et de rencontre qui leur font tant défaut d’après les enquêtés. Chaque fidèle est appelé à devenir partie prenante de l’Eglise.
Mgr Jean-Charles Descubes, (archevêque de Rouen) : C’est par les Eglises locales que peut et doit se construire la communion. Il y faut une méthode : écouter, accepter de se confronter pour vérifier la qualité des propositions, négocier pour approfondir la recherche de communion. Mais la synodalité n’est pas sans difficultés : forte tradition de centralité ; consultation n’est pas décision ; certaines catégories sociales ont difficilement accès à la parole ; les jeunes générations sont méfiantes ; et il n’est pas sûr que le plus grand nombre des chrétiens souhaitent entrer dans cette démarche.
Elena Lasida (Institut catholique de Paris) souligne trois déplacements associés au pape François :
– le passage d’une Eglise « d’entrée » à une Eglise « de sortie » : sortir pour porter la Parole, et non faire entrer dans l’Eglise.
– le passage de l’Eglise pyramide à l’Eglise en synode.
– le passage d’un Eglise puissante à une Eglise fragile, acceptant les exclus et recevant d’eux une force nouvelle.
Antoine Nouis (pasteur, directeur de Réforme) est très sensible au fait que l’absence de démocratie dans l’Eglise catholique lui ait permis d’aller chercher un pape inattendu. Pour lui, c’est l’homme François qui est premier et non pas sa fonction :
– il met l’humain (le sujet) avant le dogme : avance une théologie bienveillante.
– il réforme la curie pour y réintroduire l’Evangile.
– il est proche des pauvres qui parlent du Christ.
Il est donc un frère et un maître.
Télécharger Intervention Mgr Jean-Charles Descubes
Quelques retours après la journée
Christian Cazenave :
(…) J’ai assisté à l’après-midi de la journée « qui sont les catholiques aujourd’hui », c’était bien intéressant et convivial comme d’habitude. A retenir, par exemple, le chiffre actuel de 35% d’enfants baptisés en France, la clarté du Père Hervé Legrand sur l’exigence d’une plus grande collégialité dans l’Eglise à tous les étages puisque c’est la principale orientation du concile Vatican II dont on attend toujours la mise en oeuvre, la formule de « l’archipélisation des catholiques » (Yann Raison du Cleuziou) qui est bien représentative de l’archipélisation déréglementée de la société française toute entière malgré l’union sacrée du 11/1, ou encore, la position limpide de Jean-Marc Ferry sur la laïcité : « il faut un approfondissement théologique des enjeux cultuels, culturels, civilisationnels; sémantiques de l’éducation morale dominicale très en amont, on causera plus tard du cadre juridique des relations entre l’Etat, l’Eglise et les autres religions, spiritualités et cultures, dont 1905 n’est qu’une modalité possible parmi beaucoup d’autres » (je cite à peu près) (…)
Jacques Terray :
Florence (pour le matin) et moi avons beaucoup apprécié la journée du 24. La grille d’analyse des Chrétiens tirée du livre a l’immense mérite de n’être pas réductrice et de tendre vers des convergences que jusqu’à présent je ne voyais pas. Le débat du matin a permis à des sensibilités très diverses de s’exprimer dans une atmosphère apaisée. J’ai particulièrement apprécié l’intervention de la présidente des associations catholiques féminines, et son plaidoyer vigoureux pour un changement concernant la place des femmes dans l’Eglise.
J’aurais aimé qu’il soit fait plus de place au questionnaire du synode, comme une application concrète du propos (ferme et précis) d’Hervé Legrand sur la collégialité. Mais je comprends qu’un tel sujet aurait cannibalisé la discussion (et fait ressortir les divisions)! L’après-midi, j’ai regretté que JM.Ferry n’ait pas été plus clair dans son propos, car on pressentait qu’il avait des idées importantes à transmettre. G. Cuchet était à la fois convaincant dans ses analyses et dans ses conclusions. Comte-Sponville était égal à lui-même, martial et imperméable au doute.
L’ intervention d’Hervé Legrand faisait ressortir l’importance historique du changement à Rome, Elena Lasida et Antoine Nouis lui faisaient écho.
Pour l’avenir, je trouve que le questionnaire en vue du synode est la grande affaire du moment si nous voulons adresser au Pape François un – utile – message de soutien. S’il y a d’autres actions qui permettent de le conforter dans le conflit ouvert qu’il affronte, il faut les explorer ensemble. La phrase du cardinal étranger s’étonnant de la passivité des évêques français devrait nous galvaniser!
Anne Guillot :
J’ai beaucoup apprécié cette journée ; c’est ainsi que j’ai appris que je faisais partie des catholiques émancipés avec un rapport à Dieu informel et l’altruisme en tant que mise en œuvre de ma foi. Jésus-Christ libère, donne à l’homme sa liberté ; cela me rend plus responsable de ma vie. C’est appréciable de voir que je ne suis pas la seule dans ce cas.
André Comte-Sponville a été quelque peu provocateur mais cela fait du bien parfois. Il préfère les musulmans démocrates aux fascistes judéo-chrétiens ; nous sommes deux.
Merci encore.
Christine et Etienne Laine :
Réflexions à la suite de ces tables rondes :
Tous différents, nous pouvons vivre ensemble
Le partage de l’expérience de l’autre est possible; l’accueil de l’autre (différent) doit être vécu comme une richesse.
L’église peut vivre la démocratie, elle est même condamnée à vivre la démocratie si elle veut survivre.
Nous avons retenu « le pape François est ambassadeur du catholicisme; mais sa présence ne suffira pas ».
D’où la nécessité d’institutions qui pourraient permettre aux chrétiens de se rencontrer de discuter.
Il faut créer des lieux de débat car nous constatons une perte de la délibération.
Attente: dialogue avec les autres religions et aussi les pouvoirs publics pour faire émerger les valeurs communes au monde laïc et au monde religieux.
Remettre au gout du jour une culture du débat.
Jean-Pierre Jaslin :
Une journée, dans l’ensemble, très intéressante.
Certains intervenants m’ont plus intéressé que d’autres… mais, c’est incontournable. Un regret néanmoins sur la prestation de l’historien. Il me semble que ce qu’il défendait demandait un espace-temps plus important, notamment pour expliquer les difficultés des « progressistes ». Par ailleurs, je suis assez dubitatif sur l’intérêt d’une quantification, d’autant que le livre montre bien la grande diversité et la variété des alliances suivant les questions à débattre.
Mais d’une manière générale, j’aurais été intéressé par une discussion plus importante entre les participants pour approfondir les questions. Cela peut modifier inopportunément l’objet de cette journée, mais la solution peut-être de proposer un travail de groupe ultérieurement pour approfondir la question sur les évolutions à engager dans l’église.
C’est une remarque que je ferais sur les activités de « Confrontations ». Je trouve les contenus fort intéressants comme « l’extrême violence » ou la « fraternité », mais je pense qu’un approfondissement par le débat entre participants, y compris pour faire ressortir les points de désaccord, me semblerait faciliter la diffusion du travail réalisé qui est considérable.
En tout état de cause, un grand merci pour ces réalisations.
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