« Les relations humaines en fin de vie » Compte-rendu du Colloque des 5 & 6 décembre 2014
NB : Outre une synthése de chaque intervention, ce document donne accès au texte et/ou à l’enregistrement audio et/ou au diaporama ou vidéo correspondant aux exposés et témoignages faits durant le colloque.
Il peut encore être complété.
Ouverture du colloque
par Hervé Legrand o.p., vice président de Confrontations
C’est une grande joie pour moi, en tant que vice-président, de vous saluer ce matin, venus si nombreux pour ce colloque de Confrontations, consacré aux relations humaines en fin de vie. Confrontations est une association d’intellectuels qui s’attache à éclairer les problèmes de notre société en les analysant le plus clairement possible. Elle le fait certes avec une sensibilité propre à des chrétiens, mais sans leur imposer de grille confessionnelle à priori. Vous avez pu vous en rendre compte si vous avez remarqué les titres que nous avons publiés depuis 18 mois : Le devenir de l’Islam en France, Qui sont les cathos aujourd’hui ? Liberté, égalité oui, mais fraternité ? Un autre livre, sur le genre cette fois, est sous presse.
Confrontations n’est pas un groupe militant ; il se situe résolument au registre de la réflexion, de plain-pied avec tous ceux qui en sentent le besoin et en ont le goût. C’est seulement ainsi qu’il se veut utile aux militants. Cette option raisonnée le situe en syntonie avec les nouveaux temps de la vie chrétienne. Certes, la formule est usée, mais comme on a célébré l’an dernier le centenaire de l’édit de Milan, on me pardonnera de la reprendre : nous sommes définitivement sortis de l’ère constantinienne. Dans sa législation, l’Europe ne tient plus compte de ses racines chrétiennes : la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme veille constamment sur la neutralité religieuse des États-membres qui, par ailleurs, légalisent des comportements très éloignés des comportements chrétiens, comme nous le savons tous.
Nous sommes désormais chrétiens dans notre société comme l’étaient les chrétiens du IIIe siècle dans la leur, telle qu’elle est décrite dans l’Épître à Diognète : « Les chrétiens ne se distinguent pas des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, …ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, pour la nourriture et la manière de vivre, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle…Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens et en supportent toutes les charges. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants mais n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. Ils partagent tous la même table, mais non la même couche ».
L’Évangile dont témoignent ces chrétiens du IIIe siècle façonne leurs conduites en tant que groupe social, mais ils n’imaginent pas qu’ils devraient changer ou modeler les lois de leur société. Pour le dire sans élégance, ils n’imposent pas leur morale aux autres, mais ils s’en distinguent fortement par leur comportement : « ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés », « ils ne partagent pas la même couche », « ils vivent selon les lois extraordinaires de leur république spirituelle ».
Sommes-nous dans une situation vraiment comparable ? Jean-Paul II ne le pensait pas mais le pape François serait peut-être de cet avis. Le premier a milité contre les législations civiles qui s’éloignaient de la morale naturelle, – quelquefois en termes durs, dénonçant la culture occidentale comme «culture de mort »-, car ce pape mettait un lien ferme entre la morale et les lois civiles et attendait des catholiques qu’ils s’engagent sur ce terrain, au nom de leur foi. Il fut entendu, mais cela resta sans effets. Le pape François, dans l’avion qui le ramenait de Rio, s’est présenté comme étant « à la recherche d’un nouvel équilibre entre l’Évangile et la morale ». Il le redit dans son entrevue avec les directeurs de revues jésuites. Je le cite « Nous ne pouvons pas insister sur les questions liées à l’avortement, au mariage homosexuel et à l’utilisation des méthodes contraceptives. Ce n’est pas possible sous peine de voir l’édifice moral de l’Église s’écrouler comme un château de cartes, en perdant la fraîcheur et le parfum de l’Evangile […] l’annonce de l’amour salvifique de Dieu est premier par rapport à l’obligation morale et religieuse. Aujourd’hui il semble parfois que prévaut l’ordre inverse ».
Cet ensemble de constats, qu’on peut évidemment remettre en cause, détermine le climat original que nous avons voulu pour ce colloque. Ce ne sera pas un congrès médical, bien que nous soyons très honorés d’avoir obtenu la collaboration de tant de spécialistes reconnus dans leur discipline, et souvent connus par ailleurs comme chrétiens. Ce ne sera pas non plus un colloque d’éthique, ou de moralistes, ni même un colloque théologique ou pastoral. Pourtant nous avons besoin de toutes ces disciplines pour nourrir une réflexion spécifiquement chrétienne sur les relations humaines en fin de vie. Car tel est véritablement notre sujet. Il nous semble trop oublié dans la technicité des débats médicaux, éthiques et juridiques, débats que nous reconnaissons comme absolument nécessaires mais qui laissent trop dans l’ombre ce qu’il nous appartient, à nous tous, de faire et d’être pour que nos proches meurent humainement et chrétiennement, et plus largement pour que tant d’hommes et de femmes ne meurent pas seuls, comme cela arrive si souvent dans notre société : comment nous ferons-nous le prochain de celui ou de celle qui meurt ?
En tant que catholiques, nous pouvons nous sentir plus proches soit du pape François soit de saint Jean-Paul II, dans notre souci d’articuler l’Évangile, la morale et les lois civiles. Il n’en reste pas moins que nous ne pouvons négliger ni la morale ni les lois civiles car le souci du bien commun appartient aussi aux chrétiens. Ce souci global se traduit dans le plan même du colloque et dans le fait de recourir à de nombreuses expertises.
Nous commencerons par une approche historique de notre sujet par le Dr. E. Kariger, car la mort d’aujourd’hui n’est plus celle d’autrefois. Les catholiques d’aujourd’hui le sentent dans les prières litaniques : arrivés à la demande « de la mort subite, délivres-nous Seigneur », certains sont plutôt tentés de demander : « une mort rapide, accordes nous Seigneur ».
Après cette introduction historique, le colloque se déroulera en trois étapes. Toute notre matinée sera consacrée à une information sérieuse sur les conditions réelles dans lesquelles on meurt aujourd’hui en France. Cette information est la condition nécessaire à tout discours responsable sur le sujet. Puis, dès cet après-midi, on entrera dans le cœur du colloque : au moment de la mort, le médecin est nécessaire pour combattre les douleurs tout comme lors de l’accouchement, mais ne gagnerait-on pas humainement à démédicaliser la mort, selon l’expression du Dr Vallancien dans le dernier numéro du Débat ? Les soins médicaux ne peuvent être les seuls soins qui accompagnent celui ou celle qui meurt : il faut plus profondément l’écouter, en devenir proche, ce en quoi les témoignages prévus nous aideront, alors même que dans un certain nombre de cas, bien avant la mort, la communication affective semble devenue impossible.
Puis, demain matin, toujours avec des acteurs de terrain, nous reviendrons encore sur l’importance des relations affectives en fin de vie, les réciprocités qui peuvent encore être vécues ; nous prêterons aussi grande attention à la souffrance spirituelle comme à l’espérance chrétienne qui s’expriment en cette circonstance. Celui et celle qui croient au Dieu créateur devraient alors pouvoir être confortés en leur espérance que ce Dieu créateur pourra leur donner une nouvelle existence, comme il l’a déjà fait pour son Fils Jésus.
Ce colloque est prometteur : il nous mettra devant des réalités que nous connaissons mal ou que nous ne souhaitons pas tellement connaître. Il ne négligera ni l’éthique ni les lois, et il pourra, en ce sens, être utile au citoyen. Mais il devrait avant tout nous faire entendre une musique qu’ailleurs nous n’entendons guère ou pas assez. Vous n’en partirez pas forcément avec des idées nouvelles, mais il se peut que vous en partiez un peu changés, moins préoccupés par votre propre mort que par le souci d’accompagner celle de vos proches, et peut-être même celle d’inconnus, comme des bénévoles en soins palliatifs le font. En amont, ce souci devrait nous renvoyer à un travail en famille et aussi en société, au-delà de l’intime, pour situer la mort dans la vie, tout comme la naissance. Pour de nombreuses raisons, que le colloque éclairera peut-être, notre société, à la différence de celles qui l’ont précédées, ne dispose plus d’un éthos collectif en ce domaine. Cela ne peut nous laisser indifférents en tant que chrétiens.
Durant tout ce parcours vous serez sous la houlette de Marine Lamoureux à qui je cède la place dès maintenant, non sans avoir remercié Jean-Paul Lannegrace qui a piloté tout ce projet.
Marine Lamoureux, journaliste à La Croix
et auteur de plusieurs livres et articles sur le thème du colloque,
a animé les travaux avec une fermeté souriante.
Qu’elle en soit, ici, remerciée
NB: Les notes synthétiques des exposés qui suivent ont été prises par Véronique et Michel Sot.
Les titres sont ceux du programme.
I. Regards sur la fin de vie : comment meurt-on en France aujourd’hui ?
Historique du sens de la fin de vie et de la « bonne mort »
par le Docteur Eric Kariger, Gériatre,
ancien Chef du service de soins palliatifs du CHU de Reims (*)
aujourd’hui Directeur médical de « Maisons de Famille »
La joie de la naissance porte nécessairement la perspective de la mort. Donner la vie, c’est aussi donner la mort, ce qui pose la question du sens de la vie et introduit la nécessité de penser raisonnablement le je, de la naissance à la mort.
La mort n’est jamais « bonne » mais il y a eu (et il y a encore) une idée de la « bonne mort », ses affaires en ordre et dans l’espérance de retrouver les siens. Or nous sommes aujourd’hui dans une société de déni de la mort, qui se manifeste de multiples façons : aspiration à une mort rapide, discrète et confiée à l’hôpital, sans deuil, avec un contrat « funérailles tout compris » et presque sans rituel, loin du regard des enfants etc. La demande de crémation (30% des funérailles aujourd’hui contre quelques % il y a 20 ans) peut être analysée en ce sens même si d’énormes progrès ont été accomplis dans les funérariums.
Trois peurs s’expriment : celle de souffrir, celle de subir une obstination thérapeutique déraisonnable, celle de mourir seul. Deux mouvements se sont dessinés en réponse : l’un pour l’euthanasie et l’autre pour les soins palliatifs. C’est tout cela qui doit être pris en compte, mais nous ne pouvons pas tout attendre de la loi et de la société : chacun a sa responsabilité et sa conscience. Et c’est pour cela que toute décision sur ces questions de la part des médecins doit être collégiale, comprenant l’écoute du patient et celle de la famille.
(*) Dans ces fonctions, le Dr Kariger a été le médecin de Vincent Lambert
Voir le diaporama support de l’exposé du Dr Kariger
Conditions de fin de vie
à domicile, à l’hôpital, en maison de retraite.
Quelles perspectives d’avenir ?
par le Professeur Régis Aubry,
Chef du Dépt. douleur – soins palliatifs au CHU de Besançon,
Président de l’Observatoire National de la Fin de Vie
La France se distingue par l’hospitalisation et la médicalisation de la fin de vie. Il existe très peu de possibilités de mourir ailleurs que dans un lieu que l’on n’a pas choisi.
Des progrès remarquables ont été accomplis depuis trente ans dans le domaine des soins palliatifs, tant en nombre d’unités hospitalières et de lits (140), que d’équipes mobiles (450). Mais il existe une très grande inégalité d’accès à ce niveau de soins (beaucoup plus qu’aux autres).
Il y a incontestablement un nombre considérable de situations d’indignité de la fin de la vie. Nous concentrons les personnes en fin de vie dans des EHPAD où 55% des personnes sont en état de démence. Dans ces établissements, il n’y a pas d’infirmiers ni d’infirmières la nuit et donc pas de possibilité d’appliquer les directives anticipées. Les mourants sont orientés vers les services d’urgence dont la vocation est de soigner pour guérir. Il y a là une contradiction structurelle qui appelle un changement de culture.
Dans un précédent rapport, R. A. a défendu les soins palliatifs à domicile. Il est moins assuré aujourd’hui pour plusieurs raisons. Il est faux de croire que « cela coûte moins cher ». Cela repose sur les proches pour qui c’est un poids considérable, y compris de culpabilité au moment de la mort. Et une proportion importante de personnes en fin de vie n’ont pas de « proches » (la solitude est l’une des souffrances des personnes âgées). Les personnels intervenant à domicile (en particulier les aides ménagères) sont seuls aussi pour porter la souffrance des personnes aidées. Quand aux infirmières, elles passent beaucoup de temps en déplacements et non auprès des personnes, surtout en milieu rural.
Une réflexion sociétale est donc nécessaire pour se demander qu’est-ce qui fait que la mort est confiée à la médecine ? Il faut repenser la vie à domicile par une aide aux aidants (formation, aide psychologique, rémunération « attractive ») mais aussi par des travaux de recherche et de communication auprès de nos concitoyens. Il faut repenser aussi la culture des EHPAD où l’on entre certes pour vivre (en moyenne 2,5 ans) et où on ne parle pas de la mort. Les soignants n’en parlent pas (sauf éventuellement aux familles) et les familles n’en parlent pas non plus. Il est nécessaire de penser l’entrée en EHPAD (de la vendre ?) pour les soins palliatifs. Il faut pour cela, en particulier, des infirmiers ou infirmières de nuit : on a calculé que les hospitalisations depuis les EHPAD (1800 par an) coûtent en gros le même prix que ce que coûteraient des infirmières de nuit dans les EHPAD.
Écouter l’essentiel de l’exposé du Pr. Aubry
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La fin de vie aux urgences
par le Professeur Mathieu Monconduit, hématologue,
ancien Directeur du Centre Henri Becquerel (anti-cancer) de Rouen,
Administrateur des Semaines Sociales de France
La fonction d’un service d’urgence est de mettre en route les gestes qui sauvent et, soit d’orienter les personnes vers les services compétents de l’hôpital (1/3 des cas), soit de les renvoyer chez elles après soins (2/3). Arrivent des personnes en fin de vie dans ce contexte où l’urgence est de poser les gestes techniques qui sauvent : les relations humaines risquent bien d’être mises à mal. Cela représente entre 0,1 et 0,5 % des entrées aux urgences.
Le plus souvent (9/10) les personnes arrivent de leur domicile, sans contact préalable avec l’hôpital et sans programmation : le réflexe normal est celui de la réanimation (souvent déjà engagée par le SAMU) et il n’y a pas l’espace d’un dialogue avec le patient ou sa famille. Les personnes en fin de vie sont au mieux installées dans des chambres de très court séjour, un jour ou deux, et les urgences fonctionnant 24h sur 24, le personnel tourne. Aux urgences, on travaille à flux tendu : on ne peut pas y traiter la question de l’accompagnement des personnes en fin de vie.
Les morts aux urgences témoignent d’une absence d’anticipation et de coordination entre la ville et l’hôpital. Et l’institution (et la société ?) ne pense pas la souffrance au travail des médecins urgentistes et des autres personnels des urgences (nombre de suicides ; 92 % des urgentistes ne veulent pas finir leur carrière dans ce service).
Écouter l’exposé du Pr. Montconduit
Lire l’exposé du Pr. Montconduit
Voir le diaporama support de l’exposé du Pr. Montconduit
La décision d’arrêt de traitement
par le Professeur Louis Puybasset,
Chef du Sce de neuroréanimation chirurgicale, La Pitié Salpêtrière
Co-auteur, avec Marine Lamoureux de
« Euthanasie, le débat tronqué » (calmann-lévy)
Avec la réanimation, on intervient sur le cours des choses pour le patient et on le change. Elle engage très fortement la responsabilité du décideur. Dans les « affaires » récentes (Lambert, Humbert etc.) il n’y aurait pas eu « d’affaire » si l’on n’avait pas réanimé, donc si des hommes n’avaient pas pris la décision de le faire. Or, c’est en instrumentalisant ces patients que certains demandent un droit à l’euthanasie pour eux-mêmes, ce qui ne peut pas correspondre à la situation de ces patients : il y a là confusion.
La réanimation mène quelquefois à des catastrophes et, dans ce domaine, le patient est incompétent : on décide pour lui. Elle fonctionne très correctement dans de nombreux domaines : ventilation, insuffisance rénale, problèmes cardiaques … Mais c’est un domaine où la décision d’arrêt de traitement est souvent prise : sur 50 000 morts par an en réanimation, il y a eu décision d’arrêt thérapeutique dans 25 000 cas, soit environ 100 par jour ouvrable. La décision d’interruption de réanimation est prise cent fois par jour en France.
La décision est beaucoup plus complexe quand c’est le cerveau qui est atteint. On traite en France quelques centaines de lésions cérébrales par an. Le patient réanimé risque de rester en vie 15 ans dans un état végétatif ou pauci-relationnel mais on ne peut pas le prévoir dans 80% des cas. Il y a théoriquement deux options : ou on ne prend personne en réanimation à cause des risques ; ou on prend tout le monde en sachant que dans 20% des cas il y a risque d’état végétatif. L. P. et d’autres défendent la position suivante : on engage le traitement et on fait un bilan au bout de 15 jours : on prend alors éventuellement une décision d’arrêt. Cela ne peut se faire que dans le cadre d’une culture d’équipe. La décision est généralement bien accueillie par les familles avec lesquelles on établit un contrat. Il y a respect d’une certaine temporalité. La confiance se construit dans l’accueil, la gentillesse, mais aussi dans la congruence des médecins et des autres personnels, chacun à sa place.
Reste que là aussi, un problème d’équité est posé : la prise en charge des patients est très différente d’un établissement à l’autre.
Écouter l’exposé du Pr Puybasset
Lire le texte de l’exposé du Pr Puybasset
La sédation en fin de vie
par le Docteur Jean-Marie Gomas,
Coordinateur du Centre Douleur Soins palliatifs et du CEFAMA
Hôpital Sainte Périne(APHP Paris)
ILa distinction entre :
– sédation en phase curative
– sédation en phase palliative
– sédation euthanasie
Le médecin décide : il est responsable et éventuellement coupable. Dans sa décision il est au service de l’autre. Il a besoin d’outils et de liens humains. Cela ne peut pas être mis en loi.
L’euthanasie et le suicide assisté ne sont pas des sédations.
On envisage la sédation prolongée (avec risque de mort) pour « les symptômes insupportables », mais « l’insupportabilité » du symptôme est difficile à mesurer (et par qui ?).
Se reporter au site : www.cefama.org
Écouter l’exposé du Dr Gomas
II. Accagner : au-delà de l’approche médicale nécessaire, pour un accompagnement de la personne.
Témoignage de Frédéric Chaudier,
réalisateur du film « Les yeux ouverts »
tourné à la Maison médicale Jeanne Garnier
(disponible en DVD).
Son père a souffert d’une maladie neuro-dégénérative pendant 20 ans, jusqu’à son séjour et sa mort à Jeanne Garnier. Ce dernier temps a été très intense, temps de confiance etd’enseignement sur sa propre mort : le regard change avec ces expériences. On voit l’autre dans sa pleine humanité, y compris quand il est à Jeanne Garnier. Il n’y a pas de forme diminuée de l’humanité. Le regard est le dernier lieu de résidence de l’identité de la personne. La question de chacun dans cette situation est : « serai je capable d’être avec lui jusqu’au bout ? » La réponse est oui.
Voir un extrait du film « Les yeux ouverts »
Écouter l’interview de Frédéric Chaudier par Marine Lamoureux
Témoignage de Véronique Comolet,
accompagnatrice bénévole à la Maison médicale Jeanne Garnier
Le bénévolat ne peut se théoriser. Accompagner, ici et maintenant. Deux personnes se rencontrent et cheminent un moment ensemble : écouter et comprendre, malgré la confusion ou le silence. Accepter de ne pas maîtriser la rencontre : vivre dans le temps d’ici pour rencontrer l’autre là où il veut aller. Permettre d’exprimer sa colère ou de pleurer sans rien dire. Partager seulement le temps qui passe. La durée moyenne de séjour est de 19 jours.
Ecouter le témoignage de Véronique Comolet
Lire le témoignage de Véronique Comolet
Anne Lannegrace, vice-présidente de la Fondation Léopold Bellan.
Présentation de la, valable pour l’Hôpital L. Bellan, les EHPAD et les services à domicile de la Fondation.
« L’anticipation de la fin de vie fait partie intégrante du projet de vie ».
La charte, destinée à accompagner les résidents, les équipes et les familles, a été soumise à toutes les catégories de personnels qui sont tous impliqués dans l’accompagnement. Son affichage a rencontré des réticences de la part des personnels de certains EPHAD parce qu’elle envisage d’emblée la fin de vie. Ils considèrent que ce serait une violence à l’égard des résidents qui viennent pour vivre et non pour mourir, que la question principale est celle de l’adaptation à la Maison et que l’on verra les questions de directives anticipées ou de personne de confiance « plus tard ». Le séjour en EHPAD est cher et ceux qui choisissent de rester chez eux, le font souvent aussi pour ne pas peser financièrement sur leurs enfants, au risque d’une solitude et même d’une insalubrité très grande. Il y a là une question de solidarité.
Ecouter la présentation d’ Anne Lannegrace
Lire la présentation d’ Anne Lannegrace
Voir la Charte de l’accompagnement de la fin de vie de la Fondation Léopold Bellan
Anne-Dauphine Julliand,
auteure de Deux petits pas sur le sable mouillé
(Les Arènes, 2011, réed.)
A 32 ans, elle s’est trouvée pour la première fois confrontée à la mort, celle de sa fille Thaïs, âgée de deux ans. Elle avait pensé devoir être auprès d’elle à tous les instants. Jusqu’à ce qu’un médecin lui dise : « laissez-la vivre ». Elle a réalisé qu’en fait, elle prenait la vie de son enfant, qu’elle ne lui faisait pas confiance, et elle a essayé de ne plus culpabiliser. Elle s’était surinvestie dans cet enfant en fin de vie et s’était épuisée, ce qui est très grave car « un jour on commence à trouver le temps long et à souhaiter que ça finisse ». Pour bien accompagner, il faut prendre soin de soi ; bien mesurer ses forces et ses fragilités pour être capable d’aimer. Il a été essentiel pour elle d’avoir le secours d’un conjoint, d’un fils et d’une équipe soignante qui a « libéré l’amour ».
Le rôle du médecin est celui d’une personne rencontrant une personne : un pacte est conclu pour qu’il y ait confiance des parents dans le médecin et du médecin dans les parents. Ce que le médecin propose, c’est ce que propose la société. Pour les patients, les médecins sont la société.
Écouter le témoignage de Anne-Dauphine Julliand
Lire le témoignage de Anne-Dauphine Julliand
Attitudes devant une demande de mort
par Patrick Verspieren sj,
co-fondateur du département d’éthique biomédicale au Centre Sèvres.
A une demande de mort, il n’y a pas de réponse : répondre, c’est s’engager dans un itinéraire. En fait, les demandes de mort sont statistiquement très rares mais 1/6 des malades décédés a souhaité que l’on accélère la chose. Ce qui ne signifie pas qu’on se soit trouvé devant une demande d’euthanasie : il faut une grande finesse d’écoute pour accueillir ces demandes dont le contenu est varié.
Certains malades expriment des souhaits de mort tout en faisant des projets d’avenir, et ne tiennent pas les mêmes propos à différents interlocuteurs. C’est le moment de renforcer les liens que nous avons pu tisser avec ce demandeur, de savoir nous risquer dans la relation sans se laisser emporter : être présent mais sans cesser de vivre et faire confiance, trouver des relais.
Il y a de véritables demandes de mort qui nous mettent très mal à l’aise parce que nous les vivons à la fois comme une accusation et comme une demande de collaboration. Il convient alors d’écouter ce que la personne a à dire pour essayer de trouver la réponse appropriée. Attention à l’émotion : notre société doit répondre à ceux qui tendent la main en discernant les ressorts de vie qui existent encore et les facteurs qui jouent sur cette demande. C’est ce à quoi s’attachent les équipes de soins palliatifs et, dans la plupart des cas, la demande de mort n’est pas réitérée, une certaine estime de soi ayant été retrouvée.
Il y a enfin les demandes de mort qui subsistent malgré tout. Les antalgiques et les soins palliatifs soulagent les souffrances physiques. Restent les souffrances existentielles, la perte de l’estime de soi (perte d’utilité sociale, dépendance, poids pour les proches et la société), perte de sa propre valeur : il n’y a pas de remède médical.
Recours aux pratiques de sédation : diminuer l’éveil de la personne, de la somnolence à la sédation profonde, épargner de la souffrance à la personne. Mais il y a un grand nombre de types de sédations et c’est ce qui est au cœur de la question juridique.
Écouter l’exposé de Patrick Verspieren
Lire le texte de l’exposé de Patrick Verspieren
III. Face à face avec la mort : souffrance spirituelle et souffrance globale ? Comment humaniser la mort ?
Jean, Leonetti avait accepté de participer au colloque. Des raisons de santé l’ont contrait à se désister.
Nous remercions Damien Le Guay d’avoir bien voulu, quasiment au pied levé, intervenir ce matin.
Le sujet contemporain face à la mort :
Pour un redéploiement de l’ambition palliative
par Damien Le Guay, philosophe,
président du Comité national d’éthique du funéraire,
auteur de : « Le fin mot de la vie. Contre le mal mourir en France »
Cerf, 2014.
Emmanuel Levinas : « Le face à face avec la mort est une épreuve d’humanité … et autrui est toujours impliqué ». C’est un appel auquel je me dois de répondre. Or il y a en nous cohabitation conflictuelle entre un sujet moderne (revendiquant son autonomie) et un sujet (archaïque ?) engagé dans toutes sortes de liens. Le sujet est a la fois autonome et plein de liens qui l’ont constitué comme sujet, ce qui provoque une souffrance : « Le même homme qui se dit autonome se retrouve seul … il a payé son triomphe d’un prix de plus en plus inacceptable » (Paul Ricoeur). Cela se révèle particulièrement dans le face à face avec la mort : suis-je un sujet flottant sur le monde ou suis-je un constituant du monde ? « Le monde est ce qui accueille le nouveau-né, le reconnaît et le fait partie de ce monde qu’il transmettra à ceux qui lui survivront » (Hannah Arendt).
Le corps est multiple. Je ne suis pas seulement ce corps biologique qui souffre et qui est soigné. Je suis aussi un corps émotionnel, mémorial etc. qui a besoin de soins (palliatifs) pour être retenu et comprendre qu’il est citoyen à part entière de ce monde. Le corps biologique est le dernier à mourir mais pas le seul : comment lutter contre les morts précédentes ? L’homme a une immense responsabilité « cordiale » vis-à-vis des autres hommes et pour le monde. « Tout ce qui est d’ici a besoin de nous ». Le monde a besoin de moi qui souffre et j’ai besoin du monde.
D’où un redéploiement de l’ambition palliative
Il ne s’agit pas d’accompagner d’une fin vers une autre fin (parce que « il n’y a plus rien à faire »). Il s’agit de redonner confiance, confort, de réinscrire l’individu parmi les vivants, de décongeler des mémoires, de redonner du souffle à la parole, de faire de « nobody », « somebody ». « Je veux mourir de ma mort, pas de celle des médecins. Je veux mourir de ma vie » (R. M. Rilke).
Il convient de réassocier le palliatif et la question du salut, pas du Salut éternel, mais du micro-salut humain de la fraternité ultime : l’enfer est ce qui nous renferme dans le silence et la mort aphone, le trou noir.
On peut distinguer trois aspects de ce « salut palliatif » :
– Le salut par la salutation : être en face d’une personne et non d’une maladie portée, dans une fraternité pleine et non réduite au corps biologique.
– Le salut comme confiance : accompagnement pour recharger la dignité des individus avec la bouche pour parler, les yeux pour regarder, le visage avenant, l’oreille pour écouter, la main pour tenir et retenir. La confiance est là.
-Le salut qui permet de rester intact (salvus) : redonner l’intégrité aux différents corps éclatés. Habiter cette patience ultime qui laisse mûrir en soi tout ce que nous allons laisser. Ceux qui accompagnent, s’ils font bloc avec la personne, redonnent le sentiment d’être intact.
Ce qui renvoie au conflit entre le sujet moderne et le sujet archaïque. Tout cela suppose un rééquilibrage entre le thérapeutique et le palliatif pour réintégrer le malade dans la communauté humaine.
Un humanisme aseptisé met en avant des protocoles (techniques), l’apaisement obligatoire (comme si tout conflit devait être sédatisé), élimine l’agonie (la lutte de Jacob) et fait disparaître le sujet, vidé de sa propre subjectivité et de son combat spirituel. Comment en sortir ?
– retrouver le sens de la gravité.
– s’interroger sur ce que nous laissons sur terre : le corps ou une dette d’amour ?
– redonner valeur à la conspiration = désir de joindre son souffle à celui de tous les autres
– entrer en dialogue avec soi-même : trouver « les mots qui sont en soi, endormis ». La parole doit me permettre d’aller plus loin dans mes propres ténèbres. Elle a un caractère dynamique.
Écouter l’exposé de Damien Le Guay
Lire le texte de l’exposé de Damien Le Guay
Les relations affectives en fin de vie :
la faim de vie, un choix individuel et de société
par Jacques Faucher, médecin et prêtre,
chercheur en bioéthique, aumônier du CCMF.
L’objectif est de retrouver la faim de vie. En cette année de commémoration des poilus de 14, il convient de saluer les bataillons de personnels qui, chaque jour, montent au front des soins aux personnes en fin de vie, avec énergie, compétence et dévouement.
On s’étonne que dans un pays aussi riche que le nôtre, une réponse très souvent entendue à ce propos, soit « il n’y a pas d’argent ».
Quelle éthique pour l’accompagnement ? Écouter et s’écouter ; reconnaître l’autre comme pleinement autre ; être présent.
Sortir de la théorie : sortir la souffrance des illusions.
L’être humain est bizarre, il y a des choses que l’on ne se dit qu’à la fin.
Écouter l‘exposé de Jacques Faucher
Voir le diaporama accompagnant l’exposé de Jacques Faucher
Lire le texte de l‘exposé de Jacques Faucher
Ultimes liens réciproques
Témoignage de Catherine Ollivet, présidente de France Alzheimer 93
Les questions que l’on se pose autour de la mort des personnes atteintes d’Alzheimer sont les mêmes que celles que l’on se pose à propos des autres, mais concentrées et exacerbées. Alzheimer : cette maladie tétanise. Comment accompagner alors qu’il n’y a plus de mots ni de raisonnement, « comment parler à ma Maman qui m’appelle Maman ? » La tâche des aidants Alzheimer est beaucoup plus lourde que celle des autres aidants (60% des aidants meurent avant le malade).
Qui sont « les proches » qu’il conviendrait de consulter pour une décision vitale extrême dans la situation d’enchevêtrement des situations conjugales et parentales où nous sommes ? Que peut signifier « l’avis des familles », éclatées ou recomposées ?
La loi peut-elle générer la confiance ? Au mois de novembre dernier, la confiance s’est effondrée dans des services de réanimation et une souffrance énorme s’est installée dans certaines familles à l’idée que « le service » pouvait faire disparaître des personnes (Alzheimer en particulier) inutiles.
Il est très difficile, auprès d’un proche en réanimation, de ne pas parler pour lui et de ne pas le « faire parler », avec l’équipe médicale, avec ses enfants ou d’autres. Chacun a besoin de faire appel à des personnes extérieures pour retrouver ses ressources intérieures.
Écouter le témoignage de Catherine Ollivet
Lire le témoignage de Catherine Ollivet
La souffrance spirituelle en fin de vie
par Tanguy Châtel, sociologue,
auteur de « Vivants jusqu’à la mort, accompagner la souffrance spirituelle en fin de vie »,
Albin Michel, 2013.
« Souffrance spirituelle » fait partie du langage des soins palliatifs, mais l’expression n’apparaît que là, « en fin de vie ». Le résultat est que nous ne sommes pas armés et trop encombrés pour bien poser la question. Ce serait le secteur des aumôniers. Mais beaucoup de gens ne se reconnaissent pas dans les religions. La question est posée de savoir de qui relève le spirituel dans un contexte laïc et en quoi il consiste ? Ne commettons-nous pas un déni d’accompagnement si nous ne posons pas ces questions ? Mais il ne faudrait pas non plus vouloir tout accompagner.
Qu’est-ce que le spirituel ? Il est différent du religieux, même s’il ne faut pas opposer les deux notions. On ne peut le définir sous peine de le réifier : nous dirons que c’est le souffle (pneuma, spiritus), ce qui circule, ce qui nous réunit et ce qui nous dépasse. Il ouvre une possibilité de relation, « de dernière tentative de se mettre au monde avant de disparaître », de relation aux autres et, dans certains cas, au Tout autre.
La souffrance spirituelle n’est pas une souffrance comme les autres : il n’y a pas de solution. Il y a des questions sans réponses. C’est à la personne de trouver des éléments de réponse et l’accompagnant reste avec elle, non avec des réponses, mais dans sa quête : il est là dans le respect et l’amour, assumant lui aussi, sa propre impuissance.
Comme bien d’autres, T. Ch. dit aller voir les malades parce que cela lui fait plaisir : il y a des moments insoupçonnables d’éveil avec celui qui est vivant jusqu’à la mort.
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Vivre la relation au seuil de la Vie
Témoignage de Franck Derville, Aumôner catholique
à l’hôpital Cochin.
L’aumônier intervient sur appel auprès du malade, soit par lui-même, soit par la famille, soit par les soignants. Il est dans une attitude d’accueil devant le mystère de la personne auprès de laquelle il se rend, dans une position d’absolue neutralité au sein de l’hôpital : il n’a aucun projet sur le malade et donc une très grande liberté d’écoute et de parole. La relation peut être ponctuelle. Elle peut aussi s’établir dans le temps. Des personnes doivent revenir régulièrement pour des soins : le personnel change, l’aumônier reste.
L’aumônier s’inscrit bien dans les relations humaines en fin de vie et cherche comment en parler comme d’un seuil vers la Vie. Le « besoin spirituel » est pris en compte dans les soins mais il est important, en chrétien, de le recevoir devant la Croix : devant la Croix, on ne fait pas de discours. Important aussi de dire que la dignité de la personne n’est pas dans ses qualités propres mais dans le fait qu’elle est créature de Dieu. A la fin, pour le croyant, il y a le doute, la purification, le lâcher-prise, « remettre son esprit ». Dans sa démarche auprès des patients, l’aumônier essaie d’être sur le chemin, avec Celui qui est « le chemin, la vérité et la vie ».
Écouter le témoignage de Franck Derville
Voir le diaporama support du témoignage de Franck Derville
Jean-Paul Lannegrace, administrateur de Confrontations et responsable du colloque a conclu en quelques mots (video)
Rappelons les trois expressions différentes de l’espérance qu’il a proposées :
Max Scheler : « La personne a toujours été invisible, pourquoi craindre qu’elle disparaisse ? »
Gabriel Marcel : « Aimer un être c’est dire : toi, tu ne mourras pas. Comment Dieu ferait il moins pour nous ? »
Joseph Ratzinger : « La vie éternelle commence dès ici-bas et elle n’est pas interrompue par la mort ».
Lire la conclusion de Jean-Paul Lannegrace
Téléchargeables : Argumentaire Colloque FinDeVie et Programme ColloqueFinDeVie
1 réponse
[…] Colloque 5 & 6 décembre 2014 « Les relations humaines en fin de vie » (Confrontations) […]