L’ISLAM AUTREMENT 23 juin 2010
L’ISLAM AUTREMENT – réunion débat du 23 juin 2010 (
L’association d’intellectuels chrétiens, « Confrontations », a voulu présenter lors d’une réunion (le 23 juin 2010) suivie d’un débat une vision de l’Islam, tel qu’il est vécu par des citoyens de deux pays où il est implanté depuis le début de la conquête arabe : l’Egypte et le Liban. Pays où existent aussi des communautés chrétiennes. Elles sont très minoritaires en Egypte : 5% de la population d’après le gouvernement égyptien, près de 20% d’après le patriarche copte, probablement autour de 10%, mais importante au Liban, actuellement entre 35 et 40% de la population, avec un accès au pouvoir politique garanti par la constitution. On verra que cette particularité libanaise n’est pas sans influence sur la réflexion d’intellectuels musulmans.
Les témoignages que l’association a sollicités sont ceux de Madame Catherine Mayeur-Jaouen, professeur de civilisation arabe à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), et de Monsieur Rimah Hammoud, intellectuel libanais, avocat, créateur d’écoles françaises laïques au Proche-Orient. Les deux orateurs se réfèrent à l’Islam sunnite, une autre séance aurait été nécessaire pour rendre compte de la manière chiite de vivre l’Islam.
En Egypte avec Mme Mayeur-Jaouen.
Mme Mayeur-Jaouen dit sa satisfaction d’abandonner son rôle de professeur pour livrer un témoignage personnel sur la manière dont ceux qui l’ont hébergée pendant plusieurs années d’études vivent l’Islam au quotidien. Il s’agit d’une famille modeste du Caire avec laquelle est toujours en relation et dont les membres, au fil des années sont devenus ses amis.
Dans cette famille l’Islam est la religion naturelle, c’est la dernière révélation, elle englobe donc l’apport des religions antérieures, judaïsme et christianisme, au moins ceux que le prophète a qualifiés de positifs. Ainsi le nouveau né d’une famille est naturellement musulman dès sa naissance. Dans la vie quotidienne l’idée du jugement dernier est très présente. Elle se traduit par l’importance accordée aux actes de la vie de tous les jours car ils seront rétribués à la mort du croyant, par l’achat vers 60 ans du linceul avec lequel il sera enterré. C’est aussi l’âge où la pratique religieuse prend davantage d’importance. Règne également l’amour de la loi car c’est par elle que l’on peut avoir une relation avec Dieu, le transcendant, le tout autre.
La transmission de la foi aux plus jeunes ne passe pas par un quelconque catéchisme mais par une familiarisation progressive, ils assistent et participent aux prières des adultes, aux différentes fêtes religieuses. En particulier le mois de Ramadan est une période festive pendant laquelle on récite des versets du Coran. Quand un membre de l’entourage a fait le pèlerinage de La Mecque, il est très entouré et questionné. Le jeune accède ainsi a une vision musulmane du monde qui intègre aussi d’autres traditions. Une grande importance est donnée à la famille, la pudeur féminine est inculquée.
Le calendrier moderne est l’occasion de citer des hadit du prophète, de se familiariser avec la Sunna. On accède alors à un habitus musulman caractérisé par l’imitation du prophète. Mais depuis quelques années, avec l’arrivée de la télévision et le développement d’internet, on voit aussi une certaine sécularisation apparaitre.
Le lien du musulman avec Dieu, l’évolution des pratiques ne sont pas faciles à découvrir. Traditionnellement il passe par l’amour de la loi, du Coran, quelquefois appris par cœur, du prophète et aussi de ses descendants : les saints musulmans. Le culte soufi est lui implanté en Haute-Egypte. Le Wahhabisme, importé d’Arabie Saoudite, caractérisé par sa pratique rigoriste de l’Islam, est rentré en conflit avec d’autres visions de l’avenir de la foi musulmane. La société égyptienne étant en pleine mutation, on note aussi une accélération des transformations dans le domaine religieux.
Au Liban avec Mr. Rimah Hammoud
Mr. Rimah Hammoud est issue d’une famille pratiquant un Islam très ouvert. Son père, notable sunnite, a pris à bras le corps les démarches spirituelles. Après avoir médité et étudié la foi musulmane il a voulu connaître les autres fois. Il a fait un séjour significatif par sa longueur dans un monastère chrétien puis dans un monastère bouddhiste. Pendant la guerre civile libanaise il a, avec des succès variés, œuvré pour la paix, au moins dans son environnement géographique. Ce spirituel a exercé des fonctions officielles dans l’Islam sunnite et a initié ses enfants à une attitude de connaissance de l’autre et de respect. C’est ainsi qu’outre son éducation musulmane Rimah a reçu l’initiation chrétienne conclue par le baptême dans l’Eglise Grecque-orthodoxe.
Quand on est né musulman, on considère l’Islam comme la religion naturelle et même comme celle de la nature, mais il faut alors être vigilant face aux déviations possibles. Par exemple le voile des femmes n’est pas une prescription du Coran qui commande seulement une tenue décente, mais un avatar socioculturel qui est devenu ensuite, pour certains, un précepte religieux. De même de nombreux politiques instrumentalisent la religion pour satisfaire certaines ambitions.
Une approche théologique de la foi musulmane voit dans les 10 commandements de la genèse le fondement d’une morale qui doit inspirer les développements juridiques, très importants dans l’Islam. A partir de cette base il est possible de trouver dans les hadits du prophète les notions de liberté, d’égalité, de fraternité ; les textes correspondants ont été cités en arabe puis traduits en français. Il y a donc une lecture des textes fondateurs qui n’est nullement contradictoire avec la laïcité qui peut alors être vécu aussi dans des pays à majorité musulmane. Un mot sur les préoccupations eschatologiques, pour dire que leur intensité est liée à la situation socioéconomique vécue par les intéressés. Quant au fondamentalisme, au Liban, on observe qu’il s’est surtout développé dans les régions qui avaient été délaissées par l’état central : le sud, la Bekaa, l’extrême nord. L’amélioration des conditions de vie peut changer la donne comme on l’observe dans la région proche de la frontière israélienne : l’arrivée de la FINUL y a injecté en salaires, en achats divers, une masse financière qui a amélioré la vie quotidienne de ses habitants.
Pour conclure ce rapide survol, il faut souligner l’importance en milieu musulman des recommandations sur la vie familiale. Le prophète dit à ses guerriers revenant d’une expédition : vous êtes revenus du petit Jihad, allez maintenant vers le grand Jihad qui est de bien élever ses enfants.
Quelques réflexions complémentaires
En vrac quelques réponses à des questions posées par les participants
- En Egypte le progrès économique engendre, dans le domaine religieux, des réactions contradictoires. On observe à la fois une sécularisation avec un effacement des références religieuses et une réislamisation d’une fraction de la société qui, par exemple, peut se manifester par une extension du port du voile intégral par certaines femmes. Cette interprétation de l’Islam crée une chape de plomb mal vécue par certains même s’ils sont profondément croyants.
- L’existence d’un courant se réclamant du soufisme peut être un facteur d’apaisement dans les conflits intra ou inter religieux.
- Les médias, en particulier la télévision, internet, animés par les diasporas religieuses jouent un rôle important dans l’évolution des mentalités, dans l’affirmation des identités, voir par exemple, pour les coptes, le rôle joué par une chaine de télévision émettant depuis Chypre.
- En France la transmission de la foi musulmane par la famille devient de plus en plus difficile. A l’avenir elle nécessitera l’existence d’une éducation religieuse organisée.Les quelques aperçus évoqués sur la manière dont l’Islam peut être vécu dans des pays du Proche-Orient montrent que son pôle intégriste, agressif, est loin d’être le tout de cette religion, qu’un dialogue est possible, qu’une certaine laïcité peut s’y développer.