Présentation et lectures croisées de l’ouvrage « Penser avec le genre »
Soirée de lancement de l’ouvrage :
Penser avec le genre, Sociétés, corps, christianisme,
sous la direction de Hervé Legrand et Yann Raison du Cleuziou,
(Collection Confrontations), Artège-Le Thielleux, Paris, 2016.
Le 8 juin, 11 rue de la Chaise (75007 Paris),
avec la participation de
Christine Pedotti,
Camille Froidevaux-Metterie,
Hervé Legrand
et Yann Raison du Cleuziou
(Notes et photos de Véronique et Michel Sot)
Présentation de l’ouvrage
Yann Raison du Cleuziou : administrateur de Confrontations, maître de conférences en science politique à l’université Montesquieu Bordeaux IV et membre du Centre Émile Durkheim (UMR CNRS 5116) a notamment dirigé la rédaction de Qui sont les Cathos aujourd’hui ? DDB Confrontations, Paris, 2014).
Ce livre est le produit d’un travail mené par Confrontations qui a donné lieu à deux colloques tenus en partenariat avec l’Université catholique de Lille en 2012 (compte-rendu) et à l’Université catholique de Lyon en 2014 (compte-rendu) en partenariat avec ces universités. Il a été élaboré dans le contexte des débats autour de la loi Taubira et des questions controversées sur le couple où les invectives ont trop souvent tenu lieu d’argument. Les positions passionnelles prises par beaucoup de catholique appelaient une réflexion rationnelle sur la question du genre. Le concept a une longue histoire, y compris dans les textes du magistère catholique, mais il a récemment émergé et explosé dans le débat public. Elaboré d’abord par des psychiatres qui ont introduit la distinction entre sexe et genre (sexe social), il a été repris par les sociologues pour envisager la hiérarchisation des sexes. Le climax est atteint avec Judith Butler qui développe la pensée dite « queer » : le genre est un jeu que chacun peut s’approprier comme il veut, ce qui aboutit à l’idée que le genre détermine le sexe.
Chaque moment de la réflexion pose des questions redoutables : y a-t-il des rôles déterminés pour chaque sexe ? Ces rôles ne sont-ils pas socialement imposés ? Le sexe existe-t-il ? Le livre présenté veut montrer la multiplicité des études de genre et la fécondité de l’appropriation de ce concept.
Hervé Legrand : dominicain, vice-président de Confrontations, professeur émérite d’ecclésiologie à l’Institut catholique de Paris, directeur de la collection « Confrontations ».
La « Manif pour tous » et l’usage fait alors du terme de genre a été à bien des égard surprenant. « Genre » est devenu l’étiquette des inquiétudes de la société contemporaine pour les enjeux du corps et de la famille dans la société contemporaine. Dans les milieux catholiques et dans la hiérarchie qui n’étaient pas du tout préparés à cela, l’approche du concept de genre a été très brouillonne comme en témoignent les textes de nombreuses prise de position, généralement « contre le genre ». Notre livre ne nie en rien les grandes difficultés de la famille aujourd’hui mais il n’en fait pas une approche normée : il invite à penser avec le genre et non pour ou contre. Il montre qu’il s’agit d’un outils heuristique très fécond dans divers domaines d’analyse, aussi bien en politologie à propos des élections présidentielles, qu’en histoire de la Grèce antique ou en anthropologie de la Nouvelle-Guinée. On voit aussi dans ce livre comment le concept de genre stimule la recherche en biologie (étude du cerveau) en philosophie et en théologie.
La lecture de l’histoire de l’Église montre comment les codes domestiques de l’Antiquité ont été adoptés aux premiers siècles chrétiens. N’est-ce pas une invitation, pour nous chrétiens, à repenser l’annonce de l’Évangile dans les codes domestiques d’aujourd’hui.
Camille Froidevaux-Metterie, Professeure de science politique à l’Université de Reims Champagne-Ardenne et membre de l’Institut Universitaire de France, auteure notamment de La révolution du féminin, Gallimard 2015.
Camille Froidevaux-Mettrie a présenté un très riche exposé dont le recenseur ne peut donner qu’un aperçu sommaire. Il renvoie à son livre La révolution du féminin, où elle montre comment nous sommes engagés dans un mouvement de désexualisation du monde. La division principale en deux sexes est remplacée par une division en trois : l’intime affectif, le privé social et le public politique, qui met hommes et femmes dans une même condition d’individu, donc a égalité. Il s’agit d’une véritable mutation anthropologique souvent perçue comme inadmissible.
Le travail très rigoureux fait par Confrontations rompt un front entre catholicisme et sciences sociales et revient heureusement aux fondements théoriques : l’article d’Eric Neveu est une excellente présentation de la question du genre.
Entre autres réflexions importantes, l’intervenante met en garde contre un usage de la notion de genre qui pourrait aboutir à une négation du corps des femmes et elle conclut sur l’urgence à penser « la réciprocité unitaire de l’homme et de la femme » (et non la complémentarité).
Christine Pedotti, Directrice déléguée de la rédaction de Témoignage chrétien, co-fondatrice du Comité de la Jupe pour lutter contre la discrimination à l’égard des femmes dans l’Église catholique et de la Conférence catholique des baptisé-e-s francophones (C.C.B.F.). Elle a notamment écrit Faut-il faire Vatican III (Tallandier, 2012) et, sous le pseudonyme de Pietro De Paoli, Anticatéchisme pour le christianisme à venir (Albin Michel, septembre 2013).
Elle se présente en militante et non en spécialiste ou scientifique, en féministe catholique, une catégorie improbable où elle se sent un peu seule. Dans le mouvement de la « Manif pour tous », elle a très vite pensé et écrit que « les femmes catholiques allaient le payer très cher ». C’est d’elles qu’on se moque dans l’opinion, pas de hommes.
Autour des questions posées par le livre, Ch. Pedotti aborde plusieurs points :
– l’émancipation des femmes est un fruit évangélique
– l’homosexualité est une réalité statistique
– la lutte « contre le genre » est la lutte contre l’émancipation des femmes et contre l’homosexualité. C’est en fait la lutte contre le fantasme de l’indifférenciation : ce sont les femmes qui doivent être différentes ; le fait qu’elle arrivent dans l’humanité est une révolution anthropologique.
– la parité suppose moins de place pour les hommes : évolution importante dans les cadres dirigeants des entreprises du CAC 40 (30 % de femmes).
L’institution catholique résiste. Pourquoi ? Peut-être parce que cet outil de genre déconstruit les images masculines de Dieu. Les théologiens sont appelés à sortir de la vision masculine de Dieu (père, fils).
– les femmes doivent lire la Bible avec le genre : on y lit la libération des femmes et des hommes par la Bonne Nouvelle qui est annoncée à tous.
———————————————-